355 tueries en 336 jours.
C’est ce que La Presse + titrait le 3 décembre dernier.
Essaie de vivre après ça. Essaie, voir.
Tu fais comment? J’aimerais ça que tu le me dises.
Le soleil brille-tu toujours autant pour toi?
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Le soleil brille à Naziland
Sur les buildings de cent étages
I’ve got the whole world in my hand
Au cent vingt et unième étage
Ce soir, on danse
Ce soir, on danse
On danse à Naziland
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Au moment d’écrire ces lignes, trois jours me séparent encore de cette chanson. Cette chanson que je vais chanter sur scène – la première fois depuis 2012.
2012, l’année qui m’a enfin mis sur la mappemonde de ma vie.
Starmania pis chacune de ses chansons m’ont sauvé la peau. Une à une, elles m’ont portée, elles m’ont donné un but, cette année-là.
Depuis, j’ai un projet et une voix – je sais, tout le monde n’a pas ma chance.
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Le 14 décembre 2012, dans l’école primaire de Sandy Hook, à Newtown, au Connecticut, Adam Lanza a donné la mort à vingt enfants et six adultes, avant de se suicider. Beau cadeau, hein?
Le soir du 14 décembre 2012, nous allions jouer Starmania pour une énième fois sur scène. On en a longuement parlé dans les loges, entre deux morceaux de costumes, une tasse de thé et un coup de eye-liner. Quand François-Johnny-Rockfort est arrivé – j’t’aime François, joyeux Noël, où que tu sois –, y’a écrit un statut Facebook. Ce soir-là, il allait jouer pour eux.
Chanter pour les morts injustes.
Depuis le 14 décembre 2012, quand j’pense à Starmania, j’pense à François pis à ces amitiés-là, à la musique qui est entrée de plein fouet dans ma vie, j’pense à mes cils en plumes roses en même temps qu’à la fin tragique des morts de Sandy Hook.
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Starmania ou la passion de Johnny Rockfort selon les évangiles télévisés. C’est ça, le nom complet.
Johnny pis Jésus, ils ne sont pas si loin. Johnny Rockfort, son projet à lui, c’était l’amour. Y’avait juste besoin d’amour.
Jez’ aussi, me semble?
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Starmania raconte l’ascension au pouvoir de Zéro Janvier et du Parti pour le Progrès, à la tête de l’Occident. Johnny Rockfort et les Étoiles Noires s’allient à Cristal, une star de télévision, pour détruire l’empire de Zéro Janvier. Lors du mariage de Zéro Janvier, célébré à Naziland, les Étoiles Noires envahissent la fête pour y faire sauter une bombe. Mis au courant de l’attaque, Zéro Janvier envoie ses gardes-du-corps-armés à la rencontre du groupe terroriste.
Au cours de l’attaque, Cristal est fusillée au milieu de la foule, sur la piste de danse.
Fini ton projet d’amour avec Cristal, Johnny.
Fini ton empire et ton pouvoir, Zéro.
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On est toujours le terroriste de quelqu’un d’autre. Johnny et Zéro — pis Jésus itou?
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Sur une version de Ce soir on danse, on entend les bruits de l’attaque : des rafales de balles et des cris de panique. Puis, plus rien. Une voix suppliante.
Maintenant, ça ne serait plus possible : la fiction est trop près de la réalité.
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On vit déjà cent pieds sous terre
C’est le retour aux catacombes
Entre les murs des grandes artères
L’homme ne voit plus jamais son ombre
La ville a étendu ses ailes
Sur toute la grandeur du pays
Les néons flashent dans le ciel
Et le jour ressemble à la nuit
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Starmania a été composé en 1978. Michel Berger et Luc Plamondon faisaient sans doute référence à l’ascension d’Hitler et au célèbre Studio 54. Vite de même, moi j’pense à Kim Jong-un, au World Trade Center et au Bataclan.
1978, c’était bien avant les tueries de la Polytechnique, de Dawson, de Sandy Hook à San Bernardino.
Bien avant ça.
Pourtant, j’ai de la difficulté à concevoir une œuvre plus contemporaine.
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2012. Les dernières pratiques avant le show et avant le temps des Fêtes. Entre deux chansons sérieuses, entre deux bières, au fond d’un local dans un sous-sol sans chauffage, Monopolis est devenue Jérusalem.
Monopolis /Jérusalem
Il n’y aura plus d’étrangers/ Il n’y aura plus de païens
On sera tous des étrangers/ On sera tous de bons chrétiens
Dans les rues de Monopolis / Dans la paix de Jérusalem.
On avait pas en tête d’offenser personne. Juste l’envie de ne pas se séparer et de rendre notre trip Starmania jusqu’à Noël : rester ensemble, même si on devait jouer dans une crèche vivante, le 24 au soir.
Oui, on s’aimait jusque là – pis dans trois jours, je vais le chanter. Pour vrai.
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« On tenait à la faire. C’était symbolique de remonter sur scène. Il faut vivre la culture pour ceux qui veulent la faire taire ». Grand Corps Malade disait cela en entrevue à La Presse +, dans l’édition du 13 décembre dernier.
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Jésus avait un message simple : aimer son prochain comme soi-même (Mt 22, 37-39). Jésus, ç’a été le premier d’une longue série de radicaux et d’extrémistes au sein de l’humanité. Sans doute le moins dangereux du lot.
Mais, on l’a quand même tué – pour l’exemple.
Et on continue de tuer – pour la tradition.
Raisons de marde.
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Viarge, Marie! Ça va-tu finir ce calvaire?
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Ça te fait chier que je jase de Jésus, de religion?
Prévisible – on est au Québec, post-Révolution-tranquille.
J’me fais pas d’idée.
Mais on s’en fout ce soir on danse!
Mon cul. Continue de me lire, deux minutes.
Ça t’apprendra la tolérance – parce que Dieu sait qu’on en manque mal en 2015.
Prêche par l’exemple.
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Entre Jez’ pis nous, le jeu du téléphone arabe y’a pris une méchante débarque.
Pour moi, quelqu’un a composé le numéro de la Syrie pis de l’Ukraine.
Pour moi, quelqu’un a passé le mot au Yémen.
Pour moi, quelqu’un a jasé avec Boko Haram pis sa gang.
Pour moi, quelqu’un s’est trompé de carnet de numéro. Y’a appelé tous ceux qui avait un kamikaze au boutte de la ligne pis quelqu’un s’est faite sauter.
On a perdu l’message en cours de route – Hein? Qu’est-ce que tu dis? L’amour de quessé?
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Autour de nous il tombe des bombes
Plus besoin de creuser nos tombes
On est tous des morts en vacances
Mais on s’en fout ce soir on danse
À Naziland / ou partout ailleurs su’a planète.
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Maintenant, en 2015, on peut se permettre d’oublier une fois de temps en temps l’Holocauste, c’est parce qu’il y en a tous les jours, des atrocités sans nom et des morts qu’on oublie de nommer.
Le lot est trop gros.
Le Bon Dieu, y’a jamais voulu de ce gros lot dans son paradis.
Me semble que depuis l’temps, la file d’attente des innocents qui veulent aller au paradis est assez longue pour qu’on se permette de les faire attendre, icitte, avec nous autres.
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Johnny pis Jez’, y’ont la même vieille histoire. Pis sans doute la plus belle.
Parce qu’avec la mort, y’a la vie. L’une ne va pas sans l’autre.
T’as beau crever, y’aura toujours de la vie – pour (te) survivre.
C’est sans doute la seule consolation.
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On a chacun nos projets.
Défendre leur droit à la religion – un droit d’existence et de résilience.
Défendre un rôle sur scène — un droit de parole.
On a tous besoin d’un projet.
J’me demande simplement si on pouvait trouver un projet commun, un projet assez grand pour pas se piler sur les pieds, s’arracher les cheveux, pis se donner des envies de tuer.
Un projet qui nous permettrait de croire, qui nous occuperait la tête et les mains – autrement qu’avec un canon sur la tempe, et du sang sur les mains.
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Au moment d’écrire ces lignes, trois jours me séparent encore de cette chanson, pis j’espère qu’à la fin, les bruits de kalachnikov seront enterrés par ceux des applaudissements.
J’espère que Jésus, que Johnny, qui-que-tu-sois-en-haut, apparaisse sur scène dans un one-piece blanc à paillettes, comme un Dieu-de-la-danse-de-la-fièvre-du-samedi-soir pour nous dire :
Vous vous tuiez? j’en suis fort aise. Eh bien! dansez maintenant.
Pis la terre entière danserait sur du disco – le disco, c’est une réponse comme une autre à l’horreur.
Crédit photo de couverture : Emmanuelle Belleau