Je veux partir en voyage.
Je veux partir en voyage loin parce qu’en restant trop longtemps au même endroit, l’enveloppe écaillée de mon corps se fusionne graduellement au décor dans lequel je m’assoie pour m’y teinter de son essence originelle, que ce soit en indien, en tunisien, en tibétain, les jambes prolongées ou contorsionnées, les membres comme des racines interminables qui s’entrelacent et les ongles cornus qui creusent dans la terre pour s’y ancrer à jamais. Je ne cesse de me débattre pour interrompre le processus d’unification, et je fuis car je ne veux appartenir à aucun sol.
Je me suis toujours rapidement lassée, boudant la réitération des jours trop ressemblants, j’ai besoin de bouger et de découvrir toutes les potentialités offertes par l’existence terrestre. Je n’ai pas de temps à perdre, ma vie est le sillage d’une étoile filante.
Flottaison chronique butinant au gré des frontières nuageuses.
Je puise l’énergie du sol et la sève des paysages qui circulent en boucle jusque dans mes pupilles hypnotisées, pulsions spiralées éthériques : je suis ce que je vois. Je m’abreuve de l’élixir des couleurs du monde qui flotte aux rebords de mes larmes, un cours d’eau délimité par chacune des paupières qui polarise les pigments de la nature.
Mes empreintes digitales émigrent vers une autre disposition labyrinthique et s’emparent des courbes des cartes routières pour les exhiber fièrement aux extrémités disjointes. Les chemins sillonnés à dos de chameau ou à bord d’un train de la jungle s’y dessinent au fur et à mesure que je les explore.
Je suis sans réel contrôle des coups que m’inflige mon environnement immédiat.
Les odeurs ambiantes qui pèsent ou apaisent, m’écrasent ou me soulèvent. Entre chaque lampée de l’embrasement crépusculaire, le déferlement du vent arborescent s’émousse sur ma nuque en floraison. Un regard montagneux, une envolée d’étoiles éphémères dans les mers bleues qui pétillent de concert avec les rayons solaires. Un nez de collines de liserons et un visage d’escale parsemé de grains de beauté bourgeonnés qui plongent au-dessus de la pesanteur des panoramas encapsulés.
Voyager fait rêver.
Voyager rend heureux et emballe le cœur d’un tourbillon de brise salée.
Au moment où j’aurai parcouru toutes les cités médiévales, arpenté les dunes de sable, contemplé la beauté des temples bouddhiques et humé l’azur poudré des îles du paradis, à ce moment précis, je regarderai mon corps dans la glace du Nord et je le verrai tatoué d’une carte du monde, imparfaite et fragmentée, peut-être un peu chiffonnée par le temps, bridée par les rires intercontinentaux, mais encore mystérieuse des secrets qu’elle dissimule sous chaque flétrissure. Un tatou invisible qui ne m’a pas fait mal, un tatou qu’on voit se former magiquement quand on regarde avec les yeux brillants de paysages qui défilent à toute allure autour de l’axe oculaire.
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Quoi qu’il en soit, les voyages permettent de s’introduire dans une autre réalité, et face à l’inconnu, le corps en même temps que l’esprit se réinventent, recréant à chaque périple l’agencement des couleurs et des formes de la pensée, n’ayant aucun autre choix que de répondre aux excitations et sollicitations étrangères.
Se faufiler dans l’espace oubliée d’un présent plus tard, d’un présent plus tôt, d’un présent d’entre-deux interrompu, voler dans le souffle aérien contre le temps ou planer dans le ciel cabré pour le dépasser, une course contre la montre trépidante. Et un pas de plus vers l’oasis tant désiré, cette liberté espérée.
Changer de constellations, chavirer le ciel en le prenant par les pieds, la tête à l’envers dans le bol de la voie lactée. La carnation polychrome du firmament influence la perception qu’on a de la matière, son reflet décide de la nuance des habits corporels. Je m’évade pour le contrôler, je pars pour choisir ma couleur véridique, ou pour toutes les arborer. Déjouer le monde. Ne jamais être où il pense que je suis. Esquive escale. Embardée clandestine. Je suis le vitrail chatoyant de mes voyages dans lequel chaque pays visité y fait passer sa lumière distincte.
Une secousse subreptice. Il nous arrive parfois de ressentir le besoin urgent de partir sans trop savoir pourquoi, et en écrivant ce texte il m’a été possible de déceler un fragment de la pierre brute de son origine. Lueur diamantaire du mystère. C’est peut-être parce que je m’étais posée près d’une rivière rocailleuse pour y gribouiller quelques mots égarés avant ma disparition temporaire vers autre part.
Nos profonds désirs de conquête territoriale pénètrent brusquement le monde aggloméré du concret pour sauter du hublot de l’abstraction véritable, au moment seul où l’on tente de les mettre en mots. Un pouvoir de révélation authentique, écrire pour mieux se comprendre, écrire pour se démêler les circonvolutions. On peut ouvrir la portière rouillée du crane pour en sortir les longs serpentins noueux de l’esprit et ensuite à l’aide des doigts de fée bien aiguisés, essayer de les remettre en ordre. Mais là on peut risquer l’hémorragie, c’est mieux de juste écrire.
Et si écrire permet de les démêler, voyager sert à les rendre souples. Ajustables, modulables, réceptifs à la différence et stimulés par les diverses cultures et façons de percevoir nos vérités existentielles.
Si vous ressentez le désir de voyager, faites-le et suivez votre instinct. Si vous savez au fond de vous ce dont vous avez réellement besoin, ou si justement vous ne le savez plus, faites-vous confiance et planez, atterrissez en un endroit exotique qui aura à vous offrir une palette de couleurs jamais encore imaginée. Soyez citoyens du monde, mais pas juste pour suivre les modes.
Tout ça pour dire que je pars faire le tour de la Malaisie très bientôt et que j’ai pas mal hâte. Lorsque nous nous reverrons, je serai sans doute bronzée, mais de façon plus importante, j’aurai pris des couleurs tout droit dans mon cœur. Ciao!
Paix à tous dans un monde de brutes cyniques, restez légers comme l’air des champs de thé.
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