Je voulais être belle la plus belle.
Du plus loin que je me souvienne, c’est ça que je voulais être : « la plus belle ». Celle qu’on envierait, celle qui recevrait des déclarations d’amour anonyme, celle qui aurait un « skyrock piczo tumblr » à son nom. Je voulais pas être la plus brillante, la plus drôle, la plus généreuse, la plus douée, la plus surprenante, je voulais être la plus belle.
C’est une drôle d’envie. Non, plutôt, c’est une terrible envie. Pourquoi je souhaitais ça? Du plus loin que je me souvienne, pourquoi je souhaitais ça?
Une amie me parlait récemment de sa nouvelle fréquentation et d’une discussion qu’ils avaient eu ensemble sur le corps. Sur son corps, à elle. Il lui demandait si elle était satisfaite de son image et si elle avait déjà pensé améliorer son image en ayant recours à la chirurgie plastique.
Je veux dire, c’est pas leur discussion qui me choque, c’est le fait que ce genre de discussion-là entre deux personnes qui commencent à peine à se voir soit banale, c’est le fait de considérer la chirurgie plastique comme un rendez-vous chez le dentiste.
Entendez-moi bien, je n’ai rien contre la chirurgie, je crois qu’elle n’est pas apparue pour rien dans notre société et qu’elle fait beaucoup de bien à beaucoup de gens. Là où je me questionne, c’est au moment où la chirurgie est devenue aussi accessible et banale: « Tu n’aimes pas une partie de ton corps, change-la ».
Pourquoi est-ce qu’on a arrêté de se dire « tu n’aimes pas une partie de ton corps, découvre-la, laisse-la faire de toi cette personne unique que tu es, laisse-la faire son chemin, laisse-la être aimée par un amant, laisse-toi l’aimer, donne-toi une chance ».
Récemment, on nous expliquait à ma classe de comédiens en devenir, que ce qui nous ferait travailler, c’était ce qui nous différenciait les uns des autres. Et je veux croire que ce principe fonctionne dans tous les domaines.
Je comprends l’envie d’entrer dans « la norme », je comprends l’envie « d’être comme tout le monde, je pourrais pas juste être comme tout le monde », surtout à l’adolescence, je comprends qu’on nous enseigne longtemps à rester dans les rangs, à suivre des modes, et qu’à la longue, ça finit par faire partie de nous.
Alors je me demande, est-ce qu’on pourrait pas encourager les petites rebellions passives à la place? Encourager ceux qui pensent autrement, qui abordent le problème sous un autre angle. Est-ce qu’on pourrait pas arrêter de se demander « as-tu déjà pensé à une augmentation mammaire? » (parce que oui, si ta poitrine est de plus petite taille que la norme, tu te le fais demander), est-ce qu’on pourrait pas se dire qu’on est beaux à la place. Qu’on est agréables, qu’on est différents. Qu’on est charmants, illuminés, contagieux, intelligents, hilarants. Est-ce qu’on pourrait pas s’entourer de ces gens-là positifs et sincères, et qu’à force de se regrouper avec ceux qui accordent autant d’importance à la norme et l’emballage, ils s’apercevraient que la gang des positifs et sincères a l’air ben plus cool et voudraient se joindre à eux?
Il me semble que, dans la vie, le but c’est d’être soi-même, parce qu’on sera jamais autre chose que ça, et c’est beau parce que c’est flexible, parce qu’on peut toujours chercher à être une meilleure personne, on peut toujours chercher à faire plus de bien.
Je ne crois pas que la question « as-tu déjà pensé à une augmentation mammaire » devrait être une suggestion aussi banale, je crois qu’on devrait s’apercevoir qu’en suggérant toujours des alternatives, on suggère aussi que l’item de base n’est pas assez. Et ça c’est un problème, donner l’impression de ne pas être assez. Semer le doute, brimer une confiance en soi.
Il est là le problème avec la banalisation de la chirurgie esthétique, pour ne nommer que cette mode-là, alors que plusieurs modes absurdes font aussi partie du problème. Cette amie, à qui on a semé le doute dans l’esprit que son corps n’était pas assez, à force que se le faire demander a fini par le croire. Cette amie a pourtant le corps, le style, l’allure que j’aurais toujours rêvé d’avoir et que j’enviais.
Il faut chercher à s’entourer des gens qui nous voient au complet, je crois, des gens pour nous trouver sincèrement beau quand on se sent à notre pire et des gens qui s’en foutront qu’on soit beau ou pas « selon Le Monde » et qui nous aimerons pour nous, pour nos mauvais jeux de mots perpétuels, pour nos joues qui rougissent toujours trop vite, pour notre compassion, pour nos encouragements, pour nos idées. Pour nous.
Et si toi, depuis toujours, toi, tu sens le besoin de changer, toi, tu y as pensé et repensé et c’est la chose qui t’aiderait à te sentir mieux, alors, toi, tu peux bien prendre la décision de le faire. Ce que je dis c’est qu’entre nous, on devrait déjà avoir l’habitude de se regarder au-delà des images des magazines, des films hollywoodiens et des pages Instagram démesurées. Se regarder en dedans, parce que maudit que c’est beau l’humain! Se répéter qu’on est assez.
De toute façon, la beauté c’est relatif et éphémère, on peut pas plaire à tout le monde et on va changer toute notre vie, alors apprenons tranquillement à arrêter de souhaiter être la plus belle, et observons cet horizon d’ambitions se déployer devant nous.
Parce qu’anyway, moi, si je te rencontrais, je trouverais que t’es la plus belle, alors tu peux déjà passer au prochain objectif et arrêter de penser à celui-là ma coquine!
Tu es assez. (Pis même plus qu’assez!) (J’te l’dis!) (Pis y’est pas question que je laisse une date Tinder te faire croire du contraire!) (;) )
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