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Je te souhaite de perdre ton cellulaire

Je te souhaite de perdre ton cellulaire. Je te souhaite ça du plus profond de mon cœur, encore plus que la fois où Sandra Bullock déguisée en Miss Personnalité a prononcé les mots : « Ce que je désire le plus, c’est la paix dans le monde ». Clairement, cette fille-là avait des trucs pas mal plus urgents que la paix dans le monde à gérer. Moi, j’ai rien sur le feu, et une belle histoire à te raconter.

Ton téléphone. Il est dans tes mains, ou dans ta poche. Il est couvé précieusement dans un endroit facile d’accès, toujours à portée de main, sinon tu le tiens live au creux de ta paume. Il incarne une extension de ta vie sociale, de ton contact avec le reste du monde, limite de ton propre corps humain. Si tu devais te rendre compte qu’il n’y était pas, tu vivrais un moment de panique accompagné de sueurs froides. Tous tes codes sont là-dessus. La photo semi-érotique que tu as envoyée à ton boy quand t’as pris un verre l’autre soir est là-dedans. L’accès à ton Facebook est déverrouillé — AKA l’accès à ta messagerie. Ton journal intime et la conversation vraiment palpitante entre ton amie et son ex qu’elle t’a promis de t’envoyer sur Messenger plus tard sont là aussi. N’importe qui de moindrement obstiné est à quelques essais de ton mot de passe pour plonger tête première dans ton intimité.

Ça fait peur, 2015.

Je te souhaite de perdre ton téléphone pendant au moins une semaine. Pour une raison XYZ, dans mon scénario, il n’y a aucune façon de le remplacer pendant minimum 7 jours, parce que ça prendra au moins 7 fois 24 heures pour que se désamorcent tes réflexes de swiper, de liker, de commenter, de texter, bref, de faire ce que tu fais quand le centre de ton univers se résume à ton cellulaire. Ça m’est arrivé, cette année, de perdre mon téléphone intelligent et de décider (je te jure, de décider consciemment) de ne pas le remplacer tout de suite. J’ai pris un petit break, et ça m’a fait un bien fou. Tellement que j’ai réalisé que je pouvais même vivre sans, et que ça m’a fait me sentir mieux. Je me suis rappelé que quand je fixe un rendez-vous dans un resto avec des amis, je peux simplement me présenter à l’heure. Je n’ai pas besoin de texter seize fois ma position géographique sur mon chemin à mes amis et à valider s’ils ont « lu » mon message. S’ils ne l’ont pas « lu » ou qu’ils n’y ont pas répondu, je vais invariablement me dire : Peut-être qu’ils organisent une intervention pour me parler de mes retards? Peut-être qu’ils vont me reprocher mon manque de communication dans le groupe? Peut-être qu’ils organisent mes funérailles beaucoup trop tôt! NON!

Trêve de fabulations. Mais, réfléchis à ça. Si tu n’avais pas ton téléphone, tu ferais quoi dans le bus? Dans le bain? Sur la bol? Dans les trois minutes précédant le début de ton cours? Entre deux conversations dans un bar?

Tu interagirais avec le reste de l’humanité. Pas celle sur ton téléphone, celle dans ta face, qui grouille, qui bouge, qui se transforme — non pas à travers la lentille de la caméra intégrée à ton téléphone, mais la chair et l’os qui se déplacent dans le même espace-temps que toi. Tu n’es pas obligé de converser longuement sur la météo avec le gars pas de dents dans les transports en commun si ça ne te plaît pas, mais tu n’as pas non plus à le fuir. C’est facile et c’est enrichissant d’observer et de s’imprégner du moment présent.

On se comprend : je suis comme tout le monde. J’écris sur un blogue en plus!  Je vis bien avec un nombre raisonnable de like sur mes articles. J’aime que les gens apprécient mon point de vue, c’est bon pour mon ego. J’aime échanger sur une formidable plateforme avec des gens à l’autre bout de la planète. Je trouve ça pratique d’avoir un téléphone sur moi pour mille et une raisons aussi bien sécuritaires que pratiques.

Mais, c’est aussi, par moment, tellement lourd de me sentir esclave de la technologie qui me sert si bien.

Perds-le ou oublie-le, ton cellulaire, une fois de temps en temps. Fais semblant que tu l’as laissé sur ta table de nuit. Juste pour te rappeler que tu vis dans l’excès. Que tu dois rechercher l’équilibre en toute chose.

… Au gros pire, t’as Facebook sur ta montre, right?

AA ♥

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