Je t’ai attendu.
Au début, je pense que je faisais par exprès. Je t’attendais pour attirer l’attention, pour être comme ces filles qui portent beaucoup de eye-liner dans les séries télé britanniques, pour être mystérieuse et envoûtante, pour montrer au monde entier que « non je vais pas bien fait que demandez-moi donc pourquoi je vais pas bien question que j’aie une occasion de parler de lui encore et encore en rendant notre histoire toujours plus belle à chaque fois pour que le monde nous trouve cutecutewow ».
Je t’attendais par convention. Parce que quand y’a pu d’amour, on est pas censés faire comme si ça avait jamais existé après. Y m’semble que l’amour c’est trop grand pour disparaître d’une shot dans un nuage de fumée verte, non?
Je t’attendais pour la scène que ça ferait si tu revenais.
Je t’imaginais débarquer chez nous un soir de semaine, les yeux en larmes les bras ouverts en sentant fort ton déo (odeur que je reconnaîtrais parmi mille) pis tu me dirais « je m’excuse, j’ai jamais arrêté de t’aimer ». Pis là au début je serais fâchée, je ferais semblant de bouder comme je sais si bien le faire, je te dirais « t’as pas le droit de revenir comme ça » ou « tu penses que j’ai mis ma vie sur pause en attendant ton retour? Tu penses que j’ai personne d’autre dans ma vie pis que tu peux juste revenir comme ça? » Je te sortirais des grandes phrases en souriant de l’intérieur pis en nous trouvant chanceux de vivre un moment aussi intense, chanceux de s’aimer autant l’un et l’autre, de s’aimer comme dans les films.
Pis quand j’aurais fini de bouder (genre 15 secondes après avoir commencé) je m’imaginais te frencher sans reprendre mon souffle, pis te faire l’amour sur le plancher de ma chambre parce qu’on serait trop pressés pis amoureux pour se rendre à mon lit 3 mètres plus loin.
Je t’attendais.
Je t’attendais en accordant peu d’importance à ce que tu reviennes ou pas, parce qu’en t’attendant, ça faisait de moi cette fille-là qui t’a attendu qui t’a aimé et pour laquelle tu n’es jamais revenu. Ça faisait de moi une fille ben ben tragique.
T’attendre me faisait sentir vivante.
Parce que quand t’étais là c’était facile de me sentir en vie, facile de me trouver belle dans tes yeux, facile de rire tous les jours en accumulant les insides, facile de connaître ma valeur dans la grandeur de ton amour pour moi.
Je sais qu’on est censés être capable de toute faire ça tout seul, pis c’est vrai qu’on est capable, j’ai fini par réussir à ne plus être cette fille-là qui t’attend, mais avant de se rendre là, y’a toute un pattern de « la vie à deux » à défaire.
T’attendre m’a donné le temps de nous défaire, de transformer les souvenirs pis la vraie-vie-pas-toujours-aussi-parfaite-que-dans-les-magasines-Ikea en une grande histoire d’amour imaginaire, en une fabulation.
T’attendre t’a rendu fictif, tu es devenu un personnage dans l’histoire, un chapitre, bon ok plusieurs chapitres, mais pas le livre au complet.
Je t’ai attendu longtemps, mais là je t’attends plus. T’as rien perdu de ton éclat dans ma tête, des fois ça me coupe encore le souffle de te revoir éclater de rire, mais notre histoire est figée, figée entre la page 33 et la page 142, et toi, et moi, on a changé depuis, parce que c’est impossible de se retrouver pis que le temps ait pas laissé de marques, parce que je t’attendais, mais au fond pas vraiment, parce qu’on peut pas être réellement en train d’attendre quelqu’un quand on est occupé à écrire sa propre histoire, les pages continuent de se tourner.
… Jusqu’à temps que le tome 2 sorte en librairie pis qu’on découvre que finalement, sans qu’elle l’attende, le gars est quand même revenu.
The End.
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