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Je suis allée au théâtre – Par Carolanne Boulanger

La semaine dernière, ma prof de français m’a annoncé que je devais aller voir une pièce de théâtre. Ça me tentait pas. Une trentaine de piastres, y m’semble. Ça allait faire mal à mon p’tit portefeuille vert pis ses imprimés de hérisson, considérant que j’avais juste assez d’argent pour prendre le bus.

J’avais pas le goût, mais c’était pour faire mon examen. J’devais y aller. Fait que j’ai appelé à La Bordée, pis c’est une madame peut-être dans la cinquantaine qui a répondu. Elle toussait. Ses poumons lui criaient d’arrêter de fumer, mais visiblement, elle les écoutait pas. J’ai dit que j’avais un rabais vu que c’était dans le cadre de mon cours. Elle m’a dit : « Oui, oui. Tu passeras à la billetterie, y va avoir une madame là, a va te donner ton billet pis un p’tit pamphlet. » Elle a toussé. « Oh pis ça dure deux heures et demie, mais ça, c’est en comptant l’entracte. » J’ai dit « merci », elle a dit quelque chose que j’ai jamais compris, pis elle a raccroché.

Jeudi, 19 h 30. La Chatte sur un toit brûlant. Tennessee Williams. La Bordée.

J’ai lu la pièce avant d’y aller. J’ai pas retenu grand-chose, pour vous dire franchement. À part, peut-être, que c’est dur de communiquer, de nos jours.

Big Daddy : « Pourquoi t’as tellement hâte que j’me taise? »

Brick : « Ben, d’temps en temps tu m’arrives comme ça en m’disant « Brick, j’voudrais qu’on s’parle tous’ es deux », mais quand on s’parle y s’passe rien. Y’a rien qui s’dit. Tu t’assis dans une chaise, tu jases de ci pis d’ça pis j’fais semblant d’écouter. J’essaie d’avoir l’air d’écouter mais j’écoute pas, pas souvent. La communication c’est… c’est difficile entre les êtres… pis entre toi pis moi, j’sais pas pourquoi mais… y’a rien à faire… »

On est d’même, de nos jours. On dirait que tout le monde a besoin de prouver ses victoires. Y’a pu de conversation. On parle pour rien dire, on se pose pu de questions.

Là-dessus, avec mon coat en cuir pis mes écouteurs, j’suis partie voir la pièce. Je m’étais trouvé 5,25 $ pour manger en chemin.

J’suis rentrée par la porte pleine d’affiches de La Bordée. Comme prévu, mon portefeuille a eu mal. Comme prévu, y’a une madame qui m’a donné mon billet avec mon p’tit pamphlet. « C’est deux heures et demie, mais ça, c’est en comptant l’entracte. »

J’ai cherché ma place : siège 15, rangée K, sur le bord des marches. Y’a une madame qui m’a souri. Ça m’a surprise. D’habitude, les gens me regardent croche en constatant mon anormal intérêt pour la littérature, les poèmes pis le théâtre. Peut-être que ça paraissait que ça me tentait pas ce soir-là, pis qu’elle voulait m’encourager. Je lui ai souri, moi aussi. Sans les dents, parce que ça aurait été trop. Pis j’ai fermé mon cellulaire.

Le personnage principal était homosexuel, pis il se l’avouait pas. Faut dire qu’en 1955, c’était pas mal plus difficile, l’homosexualité. Y’a noyé son amour dans l’alcool. Y’a noyé l’hypocrisie du monde pis le mensonge, mais il se noie avec eux. Pis il le sait. Pis ça le dérange pas.

À l’entracte, j’avais faim. J’ai ramassé mon 5,25 $, pis j’suis allée au Jac & Gil. J’ai pris de l’eau vitaminée pis une barre de chocolat.

J’ai reconnu un gars que j’avais vu au théâtre, pas très loin de moi. Il bougeait pas, en face des Red Bull, comme si y s’demandait si c’était bon pour lui. Alors j’lui ai répondu, comme ça : « C’pas bon pour ta santé, mais tout le monde en prend pareil. Anyway, on sait pu ce qui est vraiment santé aujourd’hui. » Y’a souri, moi aussi. J’me suis mise à lui parler de la pièce, d’homophobie, d’hypocrisie pis de mensonge.

On a parlé longtemps. Il m’a parlé de son enfance, des mensonges justement, de ses peurs, de son père absent, de ses problèmes de drogue. « Mais tout ça, c’est fini », qu’il m’a dit. Je l’ai collé, parce que moi, c’est ça que ça me prend quand j’feel pas. J’ai espéré que ça soit la même chose pour lui.

On est retournés à la pièce en retard, sous les regards choqués des spectateurs. Il m’a chuchoté un « merci » en entrant son numéro dans mon cell. On s’est souri, pis on est retournés s’asseoir.

On a marché, ce soir-là, pour raconter nos histoires sans jugement pis sans opinion. On a juste souri devant les faits accomplis, devant ce qu’on était devenus.

Cette soirée-là avait fait mal à mon p’tit portefeuille vert pis ses imprimés de hérisson, considérant que j’avais juste assez d’argent pour prendre le bus.

Mais elle avait mis un baume sur des nostalgies et des peines qu’on raconte seulement aux inconnus.

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