Je pense que du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours eu hâte d’être une adulte. Du haut de mon jugement de p’tite fille, j’avais l’impression que la vingtaine arriverait avec un look de femme, une grosse maison, un mari, des enfants pis une grosse job stimulante. Adolescente, je voulais m’habiller comme une femme, utiliser un langage de femme et me sentir comme une femme. J’en avais marre d’être une jeune sans expérience, je voulais devenir vieille.
Maintenant que je suis en plein dedans, je réalise que la vingtaine n’a rien de ce que j’avais imaginé. C’est plutôt une espèce de zone floue entre l’adolescence et l’âge adulte. Je bois des tisanes en faisant de la pâte à modeler. J’établis un budget en mangeant un bol de céréales pour souper. Je fais mes travaux universitaires en utilisant des crayons qui allument dans le noir.
Je me sens constamment prise entre l’excitation de bâtir ma propre vie et l’angoisse de quitter celle qu’on m’avait confortablement offerte. Une journée, j’ai envie de fonder une famille, le lendemain j’ai secrètement envie de retourner vivre chez mes parents. Une journée, je me sens mature et forte, le lendemain j’ai envie de brailler devant toutes les tâches qui m’attendent.
Je me sens constamment prise entre deux attitudes. Je veux agir comme une adulte pour qu’on voit qu’on peut me faire confiance et que j’ai du potentiel, mais j’ai aussi envie d’agir comme une ado et de vivre intensément, sans penser aux conséquences.
J’ai l’impression d’être rendue trop vieille pour avoir droit aux erreurs de débutante, mais d’être trop jeune pour avoir l’air crédible aux yeux d’un employeur. J’ai l’impression que, si j’avais quinze ans, on se dirait « wow, elle a de la drive, on va lui donner une chance », et que si j’en avais trente, on se dirait « oh, enfin quelqu’un qui a de l’expérience ». Là, je me sens trop vieille pour l’un, trop jeune pour l’autre.
J’ai l’impression que mon corps, ma tête, mon cœur et mes rêves n’arrivent pas à s’entendre sur mon âge.
Je sais pas j’ai quel âge, pis dans le fond, je pense que je m’en fous.
Est-ce que je peux juste « être » ? Arrêter de vouloir me figer dans une catégorie fixe et simplement être une femme à l’émerveillement d’un enfant, à la mentalité d’une mamie, à l’ambition d’une jeune adulte et aux émotions intenses d’une adolescente?
Par Sabrina Asselin-Latulippe
Source de la couverture