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Je ne l’ai jamais dénoncé, jamais pardonné et jamais oublié

Je n’ai jamais dénoncé ce qu’il m’a fait vivre. Je ne lui ai jamais pardonné ce qu’il m’a fait vivre. Je n’ai jamais oublié ce qu’il m’a fait vivre. Son visage, son regard, ses mains, après 16 ans, sont encore bien présents dans mes pensées. Je suis incapable de marcher dans une ruelle ou près d’une ruelle, seule dans le noir. Je crois quelques fois l’apercevoir en train de me faire un sourire. Ce sourire qui m’a attirée vers lui il y a 16 ans. Quand je fais des cauchemars de cette soirée où il m’a brisée, j’ai quelques fois mal aux endroits où il m’a blessée. J’entends les rires et ressens le plaisir de ses amis autour de moi. On m’a jugée, on m’a brisée, on m’a humiliée sans savoir la vérité. J’ai hésité à me confier, je ne me donnais pas le droit de le faire. J’ai tenté d’oublier de plusieurs manières, je regrette encore certaines méthodes employées. On n’oublie pas. On vit simplement avec.

J’ai écrit l’histoire de cette soirée. Je l’ai lue une seule fois, l’année passée. J’ai été soulagée de pouvoir en parler en entier, dans les moindres détails, pour la première fois. Certaines personnes savaient que j’avais vécu quelque chose étant jeune, mais personne ne connaissait l’histoire en entier. Je n’ai plus besoin d’en parler en détail. J’ai besoin d’en parler à vous, vous qui êtes inconnues pour moi. Vous qui avez peut-être vécu un événement où une personne est entrée dans votre intimité sans votre consentement. À vous, je vous dis, vous n’êtes pas seules. Ça m’a pris 15 ans pour en parler, en parler pour vrai et en entier. Prends ton temps, mais tu dois en parler.

Pourquoi je ne l’ai jamais dénoncé? J’ai cru que c’était ma faute. J’ai eu peur que ma famille souffre. J’ai eu peur qu’on ne m’aime plus. J’ai eu peur de devoir en parler. J’ai cru l’avoir pardonné un jour. En fait, c’est à moi que j’ai pardonné. Pour lui, eux, le pardon n’est aucunement envisageable. Je n’ai oublié aucun détail, aucun coup, aucun cri, aucune douleur, aucune blessure. Je vis avec ce souvenir qui fait mal à chaque fois.

J’ai perdu mon adolescence. J’ai perdu certaines envies. Je me suis créé un personnage. J’ai menti. Je me suis protégée. J’ai gardé le secret. Après le secondaire, mon souffle est revenu, j’avais le sentiment que j’allais oublier et qu’une nouvelle vie allait commencer. Ça a duré un temps, mais le passé fait toujours surface. À 25 ans, je suis retombée dans mon passé, retombée dans cette soirée. J’ai compris que cette soirée fera partie de moi toute ma vie. Mon amoureux doit vivre avec certaines choses que je ne peux supporter dans notre intimité. J’ai toujours peur dans le noir. Je barre mes portes même si je ne suis pas seule dans la maison. Si un homme me dévisage, je vois le visage de mon briseur d’enfance apparaître. J’ai décidé d’en parler, sans les détails. J’ai décidé de vivre avec. J’ai décidé que j’avais le droit de le faire. J’ai décidé que plus ça fait mal, plus ça soulage. J’ai décidé de ne plus avoir honte. J’ai décidé que, oui, je suis forte. J’ai décidé que c’était mon droit de témoigner pour aider.

Mes parents? Ils n’ont jamais su. Ils ont douté, mais ils n’ont jamais su. Ce soir-là, j’ai menti. Ils m’ont cru et la vie a continué. Est-ce que je leur en ai voulu? Un peu. J’ai cru qu’ils devineraient. Mais dans la vie, personne n’est devin, personne ne peut deviner ce genre de chose. Après, j’ai principalement voulu les protéger de ce secret. Pourquoi faudrait-il qu’ils sachent? Peut-être pour qu’ils comprennent pourquoi j’étais si difficile à comprendre. Pourquoi je souffrais? Pourquoi je broyais souvent du noir? Pourquoi j’étais méchante avec eux? Pourquoi j’étais quelques fois instable? Oui, pour tout ça, j’aurais dû leur dire. Mais j’ai choisi de ne pas le faire. Ils sauront grâce à ce texte qu’à 12 ans j’ai vécu ce que personne ne devrait vivre. Mais ça va, je vais bien. Non, je vais mieux.

J’ai lu tellement de récits de personnes ayant vécu des histoires similaires à la mienne. Je dis « similaire » parce que chaque histoire est complètement différente. Tellement de personnes sont brisées. Tellement de personnes laissées à eux-mêmes. Malheureusement, même si ces gestes sont dénoncés, les conséquences sont principalement vécues par la personne qui a été brisée. Je n’ai pas envie d’embarquer dans les problématiques judiciaires et gouvernementales. J’ai simplement eu le besoin de me sentir normale. D’arrêter de garder ce secret. D’extérioriser ce que je ressens. De te dire à toi qui garde tout en dedans : tu n’es pas seule. De me dire à moi-même : tu n’es pas seule.

À 12 ans, j’ai été violée. Je ne l’ai pas dénoncé, je ne l’ai pas pardonné et jamais je ne vais oublier.

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