J’ai employé l’expression « friendzone », récemment. Je l’ai employée parce qu’on s’entend tous assez bien sur la définition du concept, mais pour être tout à fait honnête, je n’y crois pas du tout.
J’ai longtemps cru que l’amitié homme/femme était impossible. Je croyais qu’il y avait un trop grand potentiel de « shirage », que c’était des relations vouées à l’échec, car à un moment ou à un autre, l’une des deux personnes aurait envie de frencher l’autre. À force de me documenter sur le féminisme, j’ai découvert d’autres concepts, comme la masculinité toxique ou l’hétéronormativité. J’ai pu mettre des mots sur des malaises, des intuitions, et j’ai commencé à comprendre à quel point ma vision de l’amitié homme/femme et de la friendzone avait pu être biaisée. Non seulement elle était biaisée, mais elle contribuait carrément à alimenter des concepts pas tant cool.
La friendzone, c’est l’idée selon laquelle une personne X éprouve des sentiments amoureux et/ou du désir pour une personne Y, qui ne partage pas ces mêmes sentiments. Résultat : la personne X est… frue. J’ai utilisé les termes « personne X » et « personne Y », mais on va se le dire : la personne X est généralement un homme et la personne Y, une femme. L’homme est fru que la femme, objet de son désir, ne le désire pas en retour.
Je comprends très bien que des sentiments non réciproques, c’est décevant. Ça peut même être triste. Est-ce que ça peut être frustrant? Probablement, dans une certaine mesure, puisque nos besoins ne sont pas comblés. Est-ce que ça mérite qu’on en parle avec nos chums de gars en disant « Les gars, c’est d’la crisse de marde, j’me suis fait friendzoner »? Je ne crois pas, en tout cas pas si on a de la considération pour les besoins de cette femme qu’on aime ou qu’on désire.
Là où notre biais hétéronormatif entre en jeu, c’est que cette notion de frustration apparaît principalement lorsque la situation implique un homme hétéro et une femme hétéro. Dans mon exemple de « personne X » et de « personne Y », si la femme avait été homosexuelle, l’homme déçu ne serait pas allé boire une bière avec ses amis en se plaignant d’être dans la friendzone; il aurait accepté que son amie, qui n’est pas attiré par les hommes, n’est pas attiré par lui. Le fait qu’elle soit hétéro rend son rejet moins justifiable, genre « Ben là je suis full fin avec elle, pourquoi elle a pas envie d’me frencher?! » Comme si être gentil suffisait à « mériter » un french. Breaking news : non. Si c’était le cas, on aurait envie de frencher la majorité de la population. Le biais hétéronormatif se manifeste aussi lorsqu’on rencontre une personne de même sexe, parce qu’on ne se pose pas ce genre de question. Si je rencontre une femme avec laquelle je deviens amie, je ne lui demande pas si elle est homo ou hétéro. Si j’apprenais qu’elle est homosexuelle, je ne remettrais pas notre amitié en question sous prétexte qu’elle pourrait, éventuellement, peut-être, être attirée par moi. Pourquoi, alors, le ferais-je avec un ami hétéro?
Du reste, les relations, tout comme les humains, évoluent. Croire que la nature d’une relation restera figée pour l’éternité est assez illusoire. Maintenant, si tu me demandes si je crois à ce lieu mystérieux de la friendzone, je te répondrai non. Si tu me demandes si je crois en l’amitié homme/femme, je te répondrai oui. Et si tu me demandes s’il y a un potentiel de « shirage », je te répondrai : ouin… pis?
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