Noir comme dans le cul d’un ours. Chaud comme dans le cul d’un ours. Humide comme dans le cul d’un ours.
Bref, tout portait à croire que j’étais dans le cul d’un ours. À part l’odeur. Ouais, l’odeur. Ça sentait sucré, mais chic, subtil, mais fort quand même. Le genre d’odeur qui rappelle la ride de char du dimanche après-midi, en route vers les Galeries de la Capitale parce que c’est dimanche, on fait des comissions. À vrai dire, ça avait un quelque chose d’assez réconfortant. Un quelque chose qui a une face super compréhensive pis qui dit souvent « voyons minoune ». Un quelque chose qui lave ton lit et qui te fait des tresses. Un quelque chose de maternel.
Finalement, j’étais bien dans le noir. Y’avait rien à faire sauf respirer, mais on aurait dit que c’était en masse. Ça faisait déjà 2-3 heures que j’étais réveillée et je m’emmerdais pas pentoute. Même que j’aurais pu rester là encore 20 ans. Sauf qu’à un moment donné, y’a quelque chose qui s’est passé. Le cul d’ours ou en tout cas la petite pièce noire dans laquelle je me trouvais s’est mise à me brasser de tous bords tous côtés, un peu comme un pauvre petit bleuet dans un immense blender-six-lames-douze-vitesses. Assez que je commençais à feeler croche, croche comme dans « par le siège ». Et c’est là qu’est apparu un minuscule filet de lumière. Tout, tout, tout petit. Mini, je dis. Gros comme un cheveu de bébé. Mais après, ça s’est mis à grossir. Et c’est devenu une mèche pis finalement une esti de grosse queue de cheval de lumière.
C’fait que 7 heures, 1200 contractions, 4-5 injections et un million de cris au-delà du mur du son plus tard : j’étais au monde. J’étais une belle petite chose (visqueux petit monstre à tendance saguinaire) avec ben, ben, ben du poil sur la tête. Et les 7 premières minutes de mon existence, je m’appelais Mabel, avec un accent anglais pis toute. Mais là mon père est arrivé et là « Oops », non, on va l’appeler Noémie comme la fille dans Dallas pis dans la Bible aussi messemble.
C’fait que j’ai grandi avec le prénom Noémie, tous les films de Disney, du linge Tommy Hilfiger, des bigoudis dans les cheveux et surtout, surtout, la meilleure maman du monde. Et si son ventre avait été pendant un gros neuf mois le meilleur endroit de l’univers, et bien dès la minute où j’en suis sortie, elle a tout fait pour que dehors, mon monde à moi me paraisse aussi beau qu’en dedans.
Et elle fait tout encore aujourd’hui.
Comme quand elle se lève à 5h du matin pour empiler au moins mille sandwiches au jambon à mettre dans mes lunchs et ceux des quatre autres enfants.
Comme quand elle remplit mon auto de gaz en cachette, parce qu’elle veut voir ma réaction, parce qu’elle veut me faire une surprise, parce qu’elle m’aime.
Comme quand elle travaille douze heures de suite, qu’elle revient à la maison pour faire souper tout le monde et que rendu à 8h du soir, elle se remaquille pour venir avec moi à une pièce de théâtre un peu bizarre.
Et comme quand derrière l’îlot de la cuisine elle se crie à elle-même quelque chose comme « MAUDIT QUE C’EST BEAU LA VIE ». Et le bien que ça me fait, quand elle crie ça, comme pour rien, mais pour tout en même temps, avec ses mains dans les airs, le visage vers le fleuve et les yeux qui brillent de bonheur.
Mais ça, peut-être qu’elle le crie pour elle.
Toute sa vie, tout ce qu’elle a fait, c’était pour moi. Pour mon monde à moi.
Elle aurait ben le droit, pour une fois, de faire quelque chose pour elle. Pour son monde à elle.
Ma mère, tout ce qu’elle touche est plus léger.
Et quand elle se sent légère, c’est le monde entier qui tourne moins vite.
Alexe Raymond, Réviseure, Raymond.alexe@gmail.com