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J’ai quelque chose à te raconter – Par Noémie Doyon

C’est l’histoire d’Alban, un jeune homme dans la vingtaine, seul et étudiant en quelque chose de compliqué. Alban aime le mauvais temps et « vouloir ne pas vouloir ». Il n’aime pas lire à l’intérieur, boire des liquides tièdes et faire les premiers pas. Alban n’est ni beau ni laid, il est grand et mince. Il s’habille sobrement et il est de nature emmerdante. Surtout, Alban pense que la vie est laide.

Jusqu’au jour où il rencontre Mabel.

Mabel est une jeune fille dans la vingtaine, seule et rédactrice de nouvelles érotiques. Mabel aime le chocolat et rêver d’imprévus. Elle n’aime pas se coucher sur le ventre, boire des cafés spécialisés et faire semblant. Mabel est jolie, d’une beauté classique, douce. Elle est sociable et curieuse, mais dans la lune et très introvertie. Surtout, Mabel pense que la vie est belle et voudrait conclure ses histoires autrement que par le sperme.

Ceci est le récit de leur rencontre.

  1. INT. APPARTEMENT ÉTUDIANT — JOUR

Assis devant un meuble et dans une ambiance plutôt grise, Alban verse du lait dans une tasse. Il ouvre la porte du micro-ondes, met la tasse à l’intérieur, puis ferme la porte du micro-ondes. Il appuie sur 2, 2, 2, 2, et puis sur start. La tasse se met donc à chauffer pour 22 minutes 22 secondes. Alban attend, se ronge l’ongle du pouce.

ELLIPSE

Après un moment, il ouvre la porte du micro-ondes et trempe son doigt dans le lait. Il referme la porte du micro-ondes et rappuie sur start. Il pianote avec ses deux mains sur le comptoir, son index est mouillé.

ELLIPSE

Après un autre moment, il rouvre la porte du micro-ondes et retrempe son doigt dans le lait. Il referme la porte du micro-ondes et rappuie sur start. Il se mord les lèvres.

ELLIPSE

Encore un moment plus tard, il effectue une fois de plus le même mécanisme. Mais qu’une seconde après avoir appuyé sur start, Alban ouvre la porte du micro-ondes, sort la tasse et la dépose sur le comptoir.

Alban y met trois énormes cuillerées de Quick, brasse le mélange avec l’ustensile et trempe une fois de plus son doigt dans le liquide chaud. Il prend la tasse d’une main et se dirige vers le balcon. Il prend au passage un livre posé sur la table à dîner et sort.

  1. EXT. BALCON DE L’APPARTEMENT — JOUR

Alban sort sur le balcon. Il dépose sa tasse sur une table basse et s’installe au milieu des coussins et des couvertures. Il ramène la table vers lui, s’abrille d’une couverture, met un coussin derrière sa tête et prend finalement une gorgée de son chocolat chaud.

Alban ouvre son livre. Il tourne une page, puis une autre. Alban est maintenant à la page 29. Il lit : « Je projette mon mégot au loin, il vole un instant sur un courant d’air courbe, puis va flotter parmi les détritus qu’un cuisinier vient de jeter par-dessus bord ».

Dans un même élan, Alban fronce les sourcils, pensif, et plonge sa main dans la poche de son manteau. Il en sort un paquet de cigarettes assez mal en point. Alban l’ouvre : le paquet est vide.

Alban se lève et se dirige vers la porte. Il tourne la poignée et pousse, mais passe près de se cogner la tête. Il retourne la poignée et force avec son bras. Voyant que ça ne fonctionne pas, Alban écrase par trois fois son épaule contre la porte. Énervé, il longe le mur jusqu’à sa fenêtre. Il essaie de l’ouvrir elle aussi. Ça ne fonctionne pas, non plus. Alban est nerveux et coincé. Surtout coincé.

Alban décide finalement d’enjamber le garde-corps qui mène chez sa voisine. Il hésite quelques instants, puis cogne à sa porte. Pas de réponse. Il cogne encore. Toujours pas de réponse. Il prend la poignée, hésite encore, puis la tourne et pousse. C’est barré. Il regarde par la fenêtre de la voisine et essaie de l’ouvrir. Ça ne fonctionne pas.

Découragé, Alban regarde en bas. Il est au troisième étage.

Il enjambe encore le garde-corps, mais cette fois-ci vers le vide.

  1. EXT. BALCON DE L’APPARTEMENT, LA RUE — JOUR

Une fille passe par là, le voit. Elle intervient.

LA FILLE
(s’arrêtant de marcher)

HEY! HEY! HEY! QU’EST-CE TU FAIS?

Alban la regarde d’en haut. Ne dis rien. Ne bouge plus.

LA FILLE
(s’approchant d’Alban)

La vie là, elle vaut la peine d’être vécue, ok? Jette-toi pas en bas! D’toute façon, c’pas assez haut, ok? Relax, pis rentre en dedans ok?

ALBAN

(Gêné)

J… J… Je… J…

LA FILLE
(Concentrée)

Quoi? Qu’est-ce tu dis?

ALBAN
(Retournant sur le balcon)

J… Je… J… J’peux pas.

LA FILLE
(Confuse)

Hen?

ALBAN
(Bas)

J… J’peux pas.

LA FILLE
(Confuse)

Quoi?

ALBAN
(Fort)

J’peux pas!

LA FILLE
(Confuse)

De quoi tu peux pas?

ALBAN
(Se rongeant l’ongle du pouce)

 LA FILLE
(Confuse)

…?

ALBAN
(D’un trait)

… M… ma porte est barrée

LA FILLE
(Déterminée)

Hen! Ah ben là, saute pas en bas pour ça. J’vais t’aider, ok? Ça passe-tu par en arrière? Attends-moi là, j’arrive.

La fille s’en va vers l’arrière du bloc d’appartements. Alban traverse le garde-corps, retourne sur son balcon. On voit la fille monter les escaliers. Arrivée au dernier étage, elle ouvre la porte de gauche.

  1. INT. APPARTEMENT D’ALBAN – JOUR

Elle traverse l’appartement et voit Alban qui la regarde par la fenêtre. Elle lui ouvre la porte. Recule. Alban entre chez lui, referme la porte. La fille le regarde. Lui, il regarde par terre.

ALBAN
(La regardant furtivement, d’un trait)

Merci.

LA FILLE
(Le fixant dans les yeux)

J’m’appelle Mabel.

ALBAN
(Hésitant)

Alban.

MABEL
(Souriant)

Pis qu’est-ce que tu faisais sur ton balcon, Alban?

ALBAN

(Regardant par terre)

Je lisais.

MABEL
(Élevant les sourcils)

Tu lisais! Tu lisais quoi?

ALBAN
(Regardant par terre)

La page 29 de Voyage en Irlande avec un parapluie.

MABEL
(Fronçant les sourcils)

De Louis Gauthier?

ALBAN
(Relevant les yeux)

Oui. Tu connais ça?

MABEL
(Surprise, souriante)

Ben oui. J’ai lu presque tous ses livres : Voyage en Irlande avec un parapluie, Le pont de Londres, Voyage au Portugal avec un Allemand, Voyage au Maghreb en l’an mil quatre cent de l’Hégire… Mais mon préféré c’est vraiment Voyage en Irlande avec un parapluie. Pis toi, à date, t’aimes-tu ça?

Alban, pendant qu’elle parle, cherche à tâtons son paquet de cigarettes neuf en ne la lâchant jamais des yeux. Il le trouve, décide d’en offrir une à Mabel.

ALBAN
(Lui tendant une cigarette)

T’en veux une?

MABEL
(Hésitante)

… Eh, oui.

ALBAN
(ouvrant la porte du balcon)

Suis-moi.

Mabel suit Alban de près. Alban sort sur le balcon. Mabel aussi.

Puis, elle ferme la porte derrière elle.

FIN

 

Alexe Raymond, réviseure, raymond.alexe@gmail.com

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