À 17 ans, lorsque j’ai eu mon permis de conduire, je ne voulais pas prendre la route. Ça impliquait de grandes responsabilités et j’avais une grande crainte par rapport aux accidents. Pour me rassurer, mes parents m’ont dit à de nombreuses reprises : « Amélie, la seule chose que tu peux faire pour prévenir, c’est d’aller moins vite… » Comme ça, si jamais il arrive quelque chose, l’impact sera moins fatal.
J’me le répète souvent dans ma tête ces derniers temps. C’est vrai, quand on va vite, un seul petit accrochage peut mener à de graves conséquences.
La seule chose que tu peux faire, c’est d’aller moins vite…
Pourtant, c’est tentant d’aller vite. C’est satisfaisant de dépasser les autres. Tu te sens libre, en contrôle. Pis plus tu vas vite, plus t’as envie de continuer.
J’ai vécu ma vie dans un chemin tracé.
Pas celui du destin, pas celui de mes parents ni de mes amis.
J’ai tracé la carte de A à Z.
Fait que j’ai toujours su où j’allais. Je la connaissais par cœur, ma carte. À croire que je suis née dans l’auto avec le réservoir rempli d’essence. Rendu là, c’est tellement facile d’y aller à fond.
J’ai roulé. Sans trop regarder le compteur. J’ai toujours voulu avoir une longueur d’avance, j’ai toujours voulu ne pas perdre de temps. J’ai tout précipité. Et j’aimais tellement ça.
J’aimais ça être stressée. J’aimais ça ne pas avoir de temps pour moi, shaker un peu plus que la normale, ne pas m’endormir le soir à force de penser aux possibilités, ne rien laisser filer et prendre tout au sérieux. Pis quand on me reprochait d’être un peu trop « perfectionniste » ou « d’en vouloir trop », je prenais un malin plaisir à boire une gorgée de café et à répondre : « C’est ma personnalité! ».
C’est beau, l’ambition. C’est plaisant de voir des yeux qui brillent, des plans établis, des étapes franchies, des p’tits cadres cutes montrant nos exploits. C’est tellement beau de voir le conditionnel devenir le présent. Le fameux « Je vais » qui se transforme en « Je fais ».
Jusqu’au moment où on « pogne » notre petit accrochage.
Quand j’ai commencé à être en âge de prendre mon futur en main, j’étais étonnée de voir des gens tirer de la patte, prioriser autre chose que leur avenir. J’avais tellement attendu ça! Être maître de mes propres pas, me construire. J’ai toujours vécu en fonction de ce que ça allait m’apporter dans quelques années sans jamais regarder les bienfaits actuels.
Et maintenant, je change tout ça. J’en ai assez. J’ai besoin de m’en foutre, de ne pas savoir ce que je fais. J’ai besoin d’apprivoiser la vie à coups de « C’est pas grave! ». J’ai besoin de connaître qui je suis actuellement pour être capable de bien identifier mon futur. J’ai besoin de retrouver mes racines, ce qui me tient éveillée, ce qui m’ébranle, ce qui me pousse à me battre. J’ai besoin de défaire la routine dans laquelle je roule depuis déjà bien trop longtemps.
J’adore l’école et j’ai toujours été une bonne élève. J’aime me lever super tôt, bien m’habiller, étudier et être productive. Cependant, cette année, je n’irai pas à l’école. Je prends du retard. Je mets ma vie sur pause. Je prends une bonne bouffée d’air, j’arrête l’auto pour admirer la vue un peu.
Je ne m’arrête pas pour partir en voyage, pour économiser, pour faire quelque chose d’incroyable ou de constructif. Je m’arrête parce que j’ai envie de me perdre, pour une fois. J’ai envie d’être une personne qui vit au jour le jour et qui ne sait pas trop ce qu’elle fait. Goûter au banal et respirer, juste un petit peu. Mon ambition est tombée malade et je la place en quarantaine.
Ma moyenne n’augmentera pas. Je n’aurai pas de bons commentaires ni de mauvais. Je ne m’achèterai pas de nouveaux morceaux pour la rentrée. Je ne passerai pas de nuits blanches à étudier ou à perfectionner un devoir à remettre. Je vais même peut-être commencer à boire du décaféiné, t’sais.
Ton seul moyen de te protéger, c’est d’aller moins vite.
Ça a du sens.
J’ai pogné mon p’tit accrochage, j’ai vécu tout un dérapage pis j’ai même eu droit à une couple de tonneaux de conscience.
Mais c’est juste d’la carrosserie… On la répare-tu maintenant?
Par Amélie Savard