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J'ai appris à rêver

En grandissant, j’étais du genre à regarder vers le haut. Mais comme j’étais souvent occupée à regarder ce que je voulais réussir à atteindre, ma tendance à m’enfarger a commencé à se développer. Je mets souvent cette tendance-là sur le dos de la maladresse… pourtant, c’est plus probable que je m’enfargeais parce que je ne portais pas attention à ce qu’il y avait à mes pieds.

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M’enfarger n’a jamais été un problème, je suis faite tough, comme on dit. Selon les dires d’un de mes cousins, la petite fille de trois ans que j’étais se foutait royalement de s’étendre de tout son long dans la garnotte. Les genoux en sang, les petites roches rentrées dans la chair et de la poussière dans la bouche? Franchement, ce n’était pas ça qui allait m’arrêter de courir avec les plus vieux. « Pas le temps d’enlever les cailloux, moi, je joue. »

J’étais têtue comme une mule. Si je me mettais un objectif en tête : « tassez-vous de mon chemin! » Bref, la délicatesse et moi, nous ne nous étions clairement jamais croisées.

Les années ont passé, j’ai grandi en vivant tout avec un peu trop d’émotions et je me fixais des buts de plus en plus hauts. Sports, école, leadership, activité extrascolaire : tout y passait. La demi-mesure? C’est un concept que je n’avais pas vraiment trouvé bon d’ajouter à mon arsenal. Pourtant, j’ai réussi à atteindre quelques-uns de ces objectifs (des accomplissements d’enfance et d’adolescence qui me rendent encore fière aujourd’hui).

Puis, il y a eu une cassure. Un avant et un après. On a tous ce genre de cassure à un moment dans notre vie. Un événement, une réalisation, un choc qui nous change profondément, qui nous fait voir la vie d’un nouvel angle.

Pour moi, ça a été brutal. Ce n’était pas juste m’étendre de tout mon long dans la garnotte. C’était plus comparable à « regardant ce qu’il y avait en haut, je me suis enfargée dans un objet au sol, je me suis étendue de tout mon long en plein milieu de la rue au même moment qu’un train routier passait. » Une bèche solide. Un pétage de gueule. Une débarque monumentale. Du genre à faire froncer les sourcils et contracter le visage en un rictus douloureux chez ceux qui ont assisté à la scène.

Mais je suis faite tough

Même si je me suis ramassée « sur le cul », à moitié morte, j’ai survécu à tout ça. Et j’ai réappris à vivre, j’ai redécouvert le monde et toutes ses beautés, je me suis émerveillée devant les couleurs d’automne comme un enfant qui voit les choses pour la première fois. Sauf que contrairement à un enfant, je vais pouvoir me souvenir de cet émerveillement devant la vie.

Une des choses que j’ai réappris à faire, c’est à rêver.

Je rêve maintenant les pieds sur terre. Je rêve en vivant dans le présent. Je rêve en favorisant ma réussite, en évitant la déception. Je rêve grand, je rêve petit, je rêve par pallier.

Par pallier? Ouais… Au lieu de me fixer un objectif super haut par-dessus un mur et de devoir l’atteindre en grimpant, en escaladant et avec la possibilité de perdre pied et de m’effondrer à nouveau, je rêve d’un magnifique escalier. Un escalier qui me mène à un but quelconque, mais où chacune de ses marches sont aussi importantes que la plus haute. Je ne regarde pas trop en haut, je me concentre sur la marche que j’ai à gravir pour le moment, de façon à éviter de m’enfarger et de débouler. Je vérifie que mes pieds sont bien stables avant de continuer mon ascension. Je m’assure de protéger mes arrières pour que si par hasard je perds l’équilibre, je ne tombe que d’une seule marche.

La satisfaction que je retire chaque fois que j’atteins une nouvelle marche n’est aucunement comparable à celle que je pouvais éprouver auparavant. Je savoure la victoire de chaque étape.

Je rêve mieux.

Toutefois, je ne peux pas dire que j’ai croisé la délicatesse sur mon chemin depuis ma cassure, mais j’ai peut-être réussi à arrondir un peu les coins de ma personne. Quand je passe à quelque part, je ne bouscule plus tout sur mon passage.

Je vis mieux.

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Par Camille Bouchard

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