Quand j’avais environ douze ans, je me rappelle avoir acheté ce livre à la couverture bleutée tape-à-l’oeil. Je ne parlais pas vraiment anglais, mais sur la couverture, le titre m’avait frappée: Timeless Fashion, ce qui se signifie littéralement « la mode intemporelle ». J’avais feuilleté les pages glacées, en admirant les fabuleuses tenues. Je m’étais dit que moi aussi, un jour, j’allais être tout aussi bien habillée.
C’est environ au même moment que mon intérêt pour la mode s’est développé. C’est aussi à cet âge qu’on commence à s’affirmer au travers de son habillement : on adopte un style, une marque, on commence à se bâtir une personnalité. On comprend que, malgré tout ce qu’on dit, dans la vie, on juge toujours un livre par sa couverture…
Tout ça pour dire qu’à douze ans, j’ai appris que Chanel, Gucci et Dior n’étaient pas seulement des noms de chihuahuas. Ainsi, j’ai tout simplement été obnubilée par ce monde de textures, de couleurs, de somptuosité, un monde d’autant plus attrayant qu’il semble inaccessible. J’étais cette enfant qui voyait pour la première fois qu’on pouvait dire quelque chose de beau, de sensible, avec un agencement de tissus bigarrés et une pointe d’imagination.
C’est aussi à cet âge qu’on commence à magasiner entre amies. On découvre les Zara et H&M de ce monde et on découvre le futile plaisir de trouver si beau pour si peu.
Et de là, impossible de s’arrêter. En effet, les magasins à grande surface suivent les modes assidûment; pas besoin de payer bien cher pour ressembler à n’importe quelle célébrité.
Mais alors, les achats s’accumulent – comme la pile de linge dans nos penderies. Des pièces que l’on porte une, deux fois, et puis qu’on jette, parce qu’elle sont brisées, démodées ou bien parce qu’on n’en avait tout simplement pas besoin.
Depuis la petite fille de douze ans qui rêvait en voyant des défilés, je suis devenue une autre consommatrice de ce fast fashion. Une consommatrice de l’éphémère. Une consommatrice du vide.
Pourtant, je me souviens encore du livre que j’avais acheté quand j’avais 12 ans qui parlait de cet art du minimum, du strict nécessaire. Le secret du timeless fashion se cachait donc dans l’acquisition de quelques items dits basiques comme l’éternelle petite robe noire, une bonne paire de jeans, un t-shirt blanc indestructible, un pull de cachemire de bonne qualité, une paire de bottes de cuir quatre saisons, une chemise bien ajustée, un veston noir passe-partout, et j’en passe. Avec une telle garde-robe, quelques accessoires et beaucoup de créativité, on serait assuré de faire sensation.
Aujourd’hui, on semble avoir perdu cette notion du minimum, de l’intemporalité. S’habiller bien, c’est suivre les modes à en devenir débile, impersonnel; c’est aussi s’habiller toujours différemment pour montrer, se montrer. On laisse donc les marques, les magasins, les réseaux sociaux choisir pour nous tout en tentant d’affirmer notre unicité. Quelque peu ironique après avoir repris à toutes les sauces la citation de Gabrielle Chanel : « La mode se démode, le style jamais. »
Bref, si j’ai appris quelque chose depuis mes 12 ans, c’est que oui, les designers sont des artistes hors pair, mais ce sont avant tout des vendeurs de rêves. Ils ne créent pas, saison après saison, des modèles à suivre, ce que tente malgré tout l’industrie du prêt-à-porter, et ce, à nos dépens. Ils créent des joyaux visuels qui, malheureusement, sont voués à se faner et à être oubliés.
Dès lors, il existe d’autres artistes, ceux qui s’inscrivent hors du temps, des modes et des tendances. Ceux qui portent, reportent, agencent et créent tout en se créant eux-mêmes. Ceux qui achètent pour durer, qui ont arrêter de courir après l’insaisissable et qui finiront par laisser une trace comme les icônes qui ont marqué les siècles. En sachant que tout le reste est périssable, autant aller à l’essentiel et apprendre à en dire plus avec moins.
Le timeless fashion ne serait peut-être pas un oxymore après tout…
Anne-Sophie Lê
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