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Bon. Sauf si vous vivez dans une grotte, vous avez tous et toutes entendu parler de l’affaire Mike Ward/Jérémy Gabriel. Pour une quick mise à jour, retour en 2010 et à une série de spectacles de l’humoriste. Jérémy Gabriel, encore un enfant à l’époque, est le sujet principal d’un sketch de Mike Ward dans lequel il est dénigré et insulté par l’humoriste, sur la base de sa maladie qui lui cause des déformations physiques. C’est une amie de la famille qui a porté plainte à la Commission des droits de la personne. En ce moment, c’est une somme de 80 000 $ qui est réclamée à l’humoriste.
Le sujet est très chaud. L’opinion publique est divisée entre les partisans de la liberté d’expression et ceux du droit à la dignité et au respect. C’est assez difficile de se retrouver, d’autant plus que les avis sont souvent peu ou pas du tout éclairés. Essayons de faire le point sur la situation!
Les chartes des droits et libertés : quessé?
Une charte est une « loi fondamentale d’un État énonçant les droits et libertés dont bénéficient ses citoyens ». Ces lois quasi constitutionnelles sont en quelque sorte les gardiennes de la dignité des citoyens et garantissent la base de la démocratie. C’est pas compliqué : sans chartes, on n’aurait presque pas de solutions pour contrer des lois qui viendraient léser des droits! On parle alors du droit à l’égalité, à la vie, à la sécurité, et de la liberté d’expression, d’association, de religion, etc. Les chartes comportent également une dimension d’équité et de justice sociale : tous les humains ont une valeur égale à la base, c’est donc primordial d’avoir une justice dont les objectifs sont le respect des minorités, la tolérance et l’acceptation de la diversité.
La situation Québécoise
Au Québec, deux grandes chartes régissent le domaine des droits et libertés : la Charte canadienne et la Charte des droits et libertés de la personne (appelée la « Charte québécoise »). Grosso modo, la Charte canadienne régit les rapports personne-État, alors que la Charte québécoise régit les rapports personne-personne. Même si elles se ressemblent sur plusieurs points, elles ont chacune des différences assez fondamentales et certains articles sont prévus pour des situations très particulières. Dans le cas de Mike Ward, c’est donc uniquement autour des articles de la Charte québécoise que le débat pourra s’articuler.
Les articles 53 et 54 énoncent que la Charte lie l’État et les tribunaux : ça veut dire que si un doute surgit dans l’interprétation d’une disposition de la loi, il est tranché dans le sens indiqué par la Charte et les tribunaux doivent tenir compte des valeurs véhiculées par les Chartes dans toute décision qu’ils sont appelés à rendre.
Droits vs libertés
On oppose souvent ces deux concepts, mais en vérité, une telle distinction est fausse. En fait, la liberté d’accomplir un acte implique le droit d’accomplir cet acte. Et c’est logique! Par exemple, la liberté d’expression comporte des droits corrélatifs, comme le droit de ne pas être censuré lors d’un spectacle.
Il n’y a donc pas de hiérarchie entre les droits et les libertés. La « liberté » d’expression n’est pas plus protégée ou plus importante qu’un « droit ». Le tribunal doit plutôt chercher à atteindre un équilibre entre des droits qui coexistent.
La liberté d’expression
L’article 3 de la Charte québécoise confirme que chaque individu est titulaire de libertés fondamentales, dont la liberté d’expression. Cette protection est primordiale : toutes les formes d’expression sont essentielles au maintien d’une société libre et démocratique. De nombreux jugements au cours des années ont élevé la liberté d’expression au rang de pilier de la société démocratique :
Elle permet aux individus de s’émanciper, de créer et de s’informer, elle encourage la circulation d’idées nouvelles, elle autorise la critique de l’action étatique et favorise l’émergence de la vérité. Elle possède une portée étendue et protège tout autant les propos recherchés que les remarques qui provoquent l’ire.
(Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc.)
C’est donc dire que, théoriquement, des propos blessants ou insultants ne peuvent pas automatiquement être censurés, car ils sont protégés par ce concept qu’est la liberté d’expression. La Charte « n’a pas pour objet de censurer les idées ou de légiférer en matière de moralité ». MAIS ÇA, c’est à prendre avec un grain de sel s’il vous plaît. Parce qu’on va voir qu’une liberté, eh oui, ça peut être restreint.
Le droit à la dignité et à la réputation
Le concept de dignité humaine est implicite et fondamental. Pour avoir des droits, on doit avoir une valeur reconnue par tous : c’est à cette reconnaissance dont on fait allusion quand on parle de dignité humaine. La loi préserve la dignité des citoyens en visant les atteintes aux attributs fondamentaux de l’être humain qui contreviennent au respect auquel toute personne a droit du seul fait qu’elle est un être humain et au respect qu’elle se doit à elle-même.
Je vous l’avoue, c’est un peu plus flou que le concept de la liberté d’expression. Pour mieux comprendre, jetons un coup d’œil aux droits qui y sont corrélatifs :
– Droit à la réputation = interdiction de la diffamation – Droit à l’intégrité de son corps = consentement nécessaire pour un don d’organe (et illégalité des trafics d’organes)
– Droit à la sécurité = recours contre des fouilles policières abusives
La coexistence entre les deux et le rôle des tribunaux
Certains brandissent la liberté d’expression comme étant un droit en voie de disparition qu’il faut protéger à tout prix, au détriment d’autres droits fondamentaux. Le message derrière tout ça, c’est qu’il faut BALANCER les droits et libertés. Ce que les tribunaux font dans l’affaire Ward, c’est traiter du préjudice vécu par Jérémy Gabriel, découlant des propos haineux de Ward, tout en limitant le moins possible la liberté d’expression de celui-ci.
Source
Alors NON, la Commission des droits de la personne n’est pas en train « d’étouffer » la liberté d’expression. Elle n’est pas non plus en train de censurer la société. Le domaine des droits de la personne en est un qui consiste essentiellement à du cas par cas : ici, on balance les droits de Mike Ward ET les droits de Jérémy Gabriel.
Je vais vous résumer ça par une phrase bien simple que vous avez tous déjà entendue : « La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres ». Ça veut juste dire que ce n’est pas parce que tu es titulaire d’un droit et d’une liberté que tu peux faire ce que tu veux tout le temps. Ces droits peuvent être restreints, dès le moment où cela cause un préjudice grave à autrui (il existe des conditions pour évaluer l’impact de l’atteinte, des critères à respecter et c’est de cela que les avocats débattent en cour).
Source
C’est facile de juger. C’est compréhensible d’être en colère, quelle que soit notre position. C’est une situation délicate et, disons-le, assez triste. Gardez simplement en tête que rien n’est noir ou blanc, et que tout est une question d’équilibre.
Faites attention à vous! … et surtout à votre prochain ?
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