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Enfants, on a tous.tes des rêves. Tout est possible jusqu’à preuve du contraire. Et le contraire nous bombarde de preuves avant même qu’on sache distinguer les vérités des mensonges.

Freud dit que les filles de trois à six ans réalisent qu’elles n’ont pas de pénis et rêvent d’en avoir un. Moi, j’ai réalisé que j’avais les yeux bruns et j’ai commencé à rêver d’en avoir des verts. Les pénis, ce n’était pas pour moi, ça semblait encombrant et fragile.

Un peu plus tard, vers neuf ans, j’ai commencé à me sentir grosse et à rêver d’être mince.

En grandissant, j’ai appris que les chances que mes yeux soient verts frôlaient l’inexistence. Mais on m’a toujours dit que c’était possible, d’être mince.

Alors, comme tout enfant qui a un rêve, j’ai travaillé pour.

Je me suis longtemps battue contre la nature. J’ai fait mon premier régime à 10 ans et j’ai pas mal toujours été complexée par mon gras par la suite. La puberté précoce n’a pas aidé, mon corps était non seulement gros pour mon âge, mais aussi plus mature que la moyenne, alors que ma personnalité était celle d’une enfant.

J’ai rapidement compris que moins je prenais de place verbalement et physiquement, moins les gens chialaient. C’était plus facile pour moi de moins manger que de moins parler, alors j’ai essayé des dizaines de fois de perdre du poids.

Peu importe les efforts, je n’étais jamais mince. Mais je voulais tellement. Je me trouvais poche de ne pas être mince.

Et quelque part dans ce parcours, j’ai intériorisé de la grossophobie. Envers moi, mais aussi envers les autres. Comment se motiver à perdre du poids si ce n’est pas par peur de devenir obèse ? Et comment entretenir la peur d’être obèse sans présumer que l’obésité diminue la valeur des gens, la mienne et celle des autres ?

C’est difficile à reconnaître, donc encore plus difficile à déconstruire. La place physique que je prends est la première raison à laquelle je pense quand je suis rejetée ou traitée négativement. La place verbale est la deuxième. Mais si je pense ça de moi-même, que dire de ce que je pense des autres ?

Il y a de grosses et de très grosses personnes que j’adore. Des ami.e.s, des membres de ma famille, des personnalités connues. Mais ça ne fait pas de moi une personne pas grossophobe. Ça fait de moi une personne capable de passer par-dessus ma grossophobie.

Et je m’en rends compte quand je rencontre une nouvelle personne très grosse. J’en ai conscience parce que je suis extravertie et que j’ai moins envie d’aller vers elle. Pas parce que je la méprise consciemment comme certaines personnes dont les valeurs sont en opposition avec les miennes. Parce que je suis inconsciemment dégoûtée et apeurée.

J’imagine que j’ai le droit de ne pas vouloir être amie avec tout le monde, de ne pas être attirée physiquement par tout le monde, de ne pas aimer tout le monde. Mais cette barrière de préjugés a des répercussions sur les personnes grosses, pas juste parce que je les traite différemment, mais parce que la majorité du monde les traite différemment. Et que cette majorité n’en est même pas consciente ou l’est sans honte.

Force est de constater que la grossophobie de 2019 est comparable à l’homophobie de 1960 ou au racisme de 1920. Omniprésente. Attendue. Assumée. Excusée.

Petite, je rêvais d’avoir des yeux verts et d’être mince. Les deux étaient des rêves équivalents à l’époque et le sont encore. Je ne serai jamais mince, comme je n’aurai jamais les yeux verts.

Et si j’ai réussi, quelque part dans ma vie, à faire la paix avec mes yeux bruns, je peux aussi faire la paix avec le volume de mon corps.

Et si j’ai réussi, quelque part dans ma vie, à déconstruire les préjugés racistes, sexistes, homophobes et transphobes que la société avait mis dans ma tête, je peux aussi déconstruire les préjugés grossophobes qui s’y sentent encore chez eux.

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