Du 9 au 12 mars, Tangente présentait l’univers décalé d’Étranges créatures à l’Édifice Wilder, un spectacle de danse qui réunit les créations de deux artistes émergents. C’est la première création d’Audrée Juteau, Les strange strangers, qui secoue la scène en premier. Alors que les danseurs (Juteau et Nathan Yaffe), entrent dans un pesant état d’hypnose, le public assiste à leur mutation. D’abord aux frontières de l’enfance, les deux interprètes aux allures jumelles, mêmes mouvements, mêmes culottes Adidas, se transforment en fantômes, créatures touchantes et longues. Sous les couvertures, on ne voit pas, on ne juge pas, on explore. Et c’est avec cet œil qu’il faut recevoir Les strange strangers, des yeux quasi enfantins, émerveillés et rieurs, devant leur transe éclatée. Avec l’aide du compositeur Michel F. Côté, on se retrouve à la fois dans un univers à la Alice aux pays des merveilles, dans la fumée de la pipe d’une grosse chenille ou la folie d’un chapelier et à la fois dans un étourdissement à la Enter the void.
Au retour de l’entracte, on découvre une salle recouverte de matelas gonflables, et, au travers, trois corps repliés dans des costumes aux formes asymétriques. Tout dans l’univers de CHÉ PAS KESS TU C (DUNNO WAT U KNO) du créateur Nathan Yaffe est obstacle. Les mouvements sont amortis par la mollesse des matelas, les interprètes (Juteau, Angie Cheng et Sonya Stefan) semblent aliénées dans des mouvements répétitifs rappelant les personnages de The Sims, vidés de pensées et en attente de commandement. La succession des empilements de matelas, qui semble tout à fait aléatoire, prend des allures de cauchemars. L’onirisme du spectacle donne l’impression d’être pris dans un rêve qui enlève la faculté de la parole, du mouvement. Tout ce qui est construit se déconstruit. Et à la fin, comme si ce monde parallèle nous engloutissait, les danseuses nous pressent contre une montagne de matelas, remplie de vide, de tout cet air qui nous a manqué pendant la prestation.
Deux œuvres très intéressantes, qui bousculent les spectateurs qui s’attendaient peut-être à voir de la danse ordinaire… Non, avec Étranges créatures, il s’agit plutôt de danse post-moderne, qui allie à la fois réflexion dans le mouvement, mais aussi dans l’interprétation, le son et l’image.
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