Il y a cette vieille dame que je croise souvent dans mon quartier. Ratatinée par l’âge, courbée par la vie. Marchant plus lentement que je ne pourrais le faire avec effort, cette femme me dit toujours « bonjour » au passage. TOUJOURS. Elle m’extirpe de ma bulle, de mon humeur de fille qui a peur d’arriver en retard au travail, de mes écouteurs aveuglants, de mon regard fuyant au sol, de mon attention floue, de mon jugement instinctif… Elle me salue, me sourit, me bouleverse…Car ce moment qui ne semble être qu’une banale courtoisie dans la rue est précieux et en voie de disparition. Ce moment, c’est plus qu’une salutation, c’est un lien. Puisque si elle ne m’avait pas abordée, je ne l’aurais pas fait, et qu’à chaque fois que je la croise, sa vivacité me surprend. Je me questionne. Pourquoi on ne dit pas bonjour au gens? En quel honneur? Depuis quand la vie va trop vite pour un regard, un hochement de tête, un signe de la main, un sourire, un mouvement entre deux personnes qui se rencontrent…? Faut-il se connaître pour se formuler une politesse? Comment on apprend à se connaître si on s’ignore?
Dans mon village…
Je viens d’un village, ma mère vient d’un village et mon père d’un autre village et, selon moi, ces petites communautés ont cela en commun : LES GENS S’Y DISENT BONJOUR! C’est naturel, c’est comme ça! Les gens s’y saluent depuis la naissance et « Amen ». De plus, la voisine de la maison à droite a été à l’école avec ta cousine, qui est mariée au frère de la femme de ton oncle, qui s’était fâché un jour parce que le voisin de la maison à gauche ne lui avait pas rendu la salutation… Le monde est plus petit qu’on le pense alors le minimum c’est de se saluer et d’entretenir cette vie le plus humainement possible. Et puis ce n’est pas juste humain, c’est vivant! Avez-vous déjà vu deux ours se rencontrer sur un même chemin et faire preuve d’indifférence?
En voyage…
Hi, Bonjour, Holà… L’équivalent linguistique de la salutation est la première chose que l’on doit s’efforcer à apprendre à prononcer quand on s’envole, question de ne pas avoir l’air fou arrivé à destination. Courtoisie indispensable au premier contact, le « salut » est une forme de respect touristique et local, ET LES GENS SE DISENT DONC BONJOUR! C’est peut-être le dépaysement ou l’absence de réseau cellulaire, l’anonymat étranger ou la chaleur et les palmiers, mais il semble plus spontané de vraiment voir les gens et de les saluer ailleurs qu’ici.
Dans ma ville…
Dans cet « ici » où je vis, je croise des gens avec qui je suis amie Facebook, un gars avec qui j’ai été au secondaire, l’ex de mon amie (bon ici l’option « salutation » est optionnelle), le propriétaire du café du coin, la fille qui prend toujours l’autobus en même temps que moi, quelqu’un que je pense que j’ai vu quelque part, un parfait inconnu. Au moment où pourrait avoir lieu un contact, on va judicieusement ignorer nos présences mutuelles. Je ne vais pas te saluer, tu ne vas pas croiser mon regard. That’s the deal! Habitons-nous en ville pour circuler comme des bulles impersonnelles? Je ne peux/veux pas y croire… On arrive à peine capricieusement à créer un contact simple qui n’engage à rien et on cherche sa douce moitié sur Tinder. Sérieux? Je ne suggère pas de saluer tout le monde dans l’épicerie ou encore d’engager une conversation avec tout le monde. Je propose juste que la porte soit là si jamais quelqu’un voudrait y cogner.
Avec tous les coups de feu et les apocalypses médiatiques qui mitraillent notre existence, ma conscience nage entre mes valeurs et ma petite vie confortable. Je crois profondément que c’est dans les petites choses du quotidien qu’on change le monde et que c’est suivant le principe qu’on arrive à détester ceux qu’on a tant aimés, que se déclenchent violence et guerre. Ainsi, on choisit d’être influencé et d’être influence. Ainsi, on fait partie de quelque chose de beaucoup plus grand que soi.
Dans mon cas, il y a un peu de lâcheté et de peur primitive de ce que peut engendrer se trépassement de « surtout, ne parle pas aux inconnus ok? ». Toutefois, si un bonjour peut aider à partager un peu de chaleur humaine dans ce monde où on se raconte davantage d’histoires dramatiques de cellulaire échappé dans l’eau que de péripéties incroyables de séjours de pêche en nature… je veux bien faire l’effort. Un bonjour à la fois.
PS: Si jamais vous croisez une vieille dame qui porte souvent un cardigan menthe dans St-Roch ou St-Sauveur, saluez-la pour moi. Il y a quelques semaines que je n’ai pas eu la chance de sourire à son passage. Elle est sans doute de cette époque où le divorce n’était pas une option, le nombre d’enfants aussi élevé que le corps pouvait le supporter, du temps où l’Église régnait mais tremblait, menacée devant la révolution de la Femme… Elle a vécu pour que je puisse vivre à mon tour dans un monde meilleur.
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