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Est-ce que je suis égoïste de penser comme ça? – Par Noémie Rousseau

J’ai eu une récente bulle au cerveau qui a éclaté précisément le lendemain, de la fois où ma mère m’a dit en joke que je devrais aller travailler au Nunavut parce qu’elle avait vu une offre d’emploi affichée dans l’un de ses courriels au travail. Sur le coup j’ai dit : « arkkkkk non jamais de la vie, tu veux j’criss quoi là-bas à part être alcoolique pis sniffer du gaz pis mourir de frette? ». C’est à peu près le genre de réaction typique à la que je crache aux gens quand je fais face à quelque chose dont je ne suis pas certaine. Ça a eu le même effet lorsque j’ai vu des personnes mélanger du Clamato dans leur bière pour la première fois. Au début j’ai pensé : « ouach, jamais je vais boire ça, ça doit goûter la grosse m… » pis finalement, j’en ai bu, un… deux… trois… et j’ai aimé ça! J’avais même l’impression que je me saoulais « grano ». Alors, après mûre réflexion (une réflexion d’au moins deux bonnes minutes), j’ai sérieusement songé a déménager pour de vrai au Nunavut, parce que de toute façon, si j’ai pas vécu là, je peux pas juger la place seulement par de simples stéréotypes injustifiés que nous sommes habitués d’entendre. Ça fait que moi pis mon ami Google, on s’est fait une petite soirée d’espionnage sur le territoire des Inuits à la recherche de connaissances pour approfondir mon désir secret d’une quelconque aventure perdue dans le froid du Nord canadien. Ça me rappelait la fois où je fouillais pour de belles images de la ville de Régina en Saskatchewan parce que j’allais y passer quelques jours. Tout le monde riait de ma gueule parce qu’ils disaient tous que c’était un trou perdu de rednecks, mais moi, je les croyais pas. Pas tant que je n’aurais pas vu de mes propres yeux. Finalement, il s’est avéré qu’ils avaient raison, parce que y’avait rien, rien, rien, juste un casino et un centre d’achat. Sauf que dans leur dépanneur, y’avait des machines à fromage jaune tout chaud et des Pogos. Je peux dire que j’ai eu quand même du fun grâce à ça.

En fouillant sur internet pour essayer de trouver s’il n’existerait pas la même compagnie de dépanneur au Nunavut (on sait jamais), je suis tombée sur des liens qui m’ont amenée à d’autres liens, qui finalement m’ont transportée dans l’histoire de ce territoire peuplé depuis maintenant 4000 ans.

Saviez-vous que pendant la période de colonisation par les Canadiens, les Inuits ont été contraints à la sédentarisation à l’aide de méthodes, selon moi, plus que barbares, tel que le massacre des chiens esquimaux? Pour ma part, quand j’ai lu ça, je n’ai pas pu m’empêcher de me mettre à leur place et d’imaginer ce que je ressentirais si des étrangers venaient abattre mes animaux chez moi, devant mes yeux. C’est carrément immonde, horrible et inhumain et plus qu’enrageant. Le pire, c’est qu’en cherchant davantage, j’ai pu constater que dans les années 50 et 60, des policiers québécois ont tué brutalement eux aussi, plus d’un millier de chiens d’attelage au nom de la « sécurité » des villages, comme s’il s’agissait d’une infraction au code de la route ou d’un règlement municipal, sans tenir compte de l’importance que ces animaux avaient dans leur communauté.

J’ai eu de la peine en lisant tout ça, j’ai aussi eu de la peine en me disant que j’étais plus inculte que je le pensais, malgré que j’ai une bonne excuse, j’étais dans la première année de réforme au primaire et au secondaire, ça fait que si mon éducation est tout croche, c’est de la faute des profs qui nous sortaient à chaque fucking début d’année LA phrase classique qui m’a collé au cul durant tout mon cheminement scolaire : « Salut tout le monde, c’est ma première année dans la réforme, je sais pas trop où est-ce qu’on s’en va avec ça, mais inquiétez-vous pas, on va avoir du fun ». Ouais. J’ai eu autant de fun qu’un chat qui se fait donner un bain. Je peux pas dire que le gouvernement a torché sur l’éducation ce coup-là, c’est plutôt les élèves qui se sont fait laver.

Peu importe, n’empêche qu’avec internet, les journaux pis les nouvelles la télé, c’est plus dur de rester épais, ce qui fait que moi, et certainement la plupart d’entre nous, on est quand même conscients de ce qui se passe partout dans le monde. Tant qu’à rien savoir de l’histoire, aussi bien se rattraper sur le présent, non?

Du grand luxe de mon doux confort que m’apporte ce divan moelleux gris, trop laid pour que je puisse lui donner un nom tel que kitsch ou vintage (désolé mon coloc, je l’aime quand même ton sofa) je regarde les nouvelles de 18 h, en me transformant en éponge qui ne fait qu’absorber à moitié le contenu de ce qu’on rapporte de l’actualité. Toujouuuuurs pareil; guerre, accident d’auto, incendie, meurtre, massacre, tuerie, le quotidien d’une journée de 24 heures, voilà.

Quand je pense que je pleure presque pour des chiens Esquimaux abattus y’a plus de 50 ans tandis qu’au moment où j’écris, il y a des milliers de personnes qui meurent au Nigéria, en Irak, en Syrie et j’en passe. Il y en a trop, malheureusement. Pourquoi ça me chagrine plus que le reste? Serait-ce parce que des chiens qui meurent c’est moins banal que des humains qui saignent?

Comment ça se fait qu’on soit devenu tellement habitués, qu’on se soit familiarisé aussi vite avec les massacres et la violence autour de nous que lorsque nous entendons parler qu’au Nigéria il y a plus de 2000 morts à cause d’un certain groupe Boko Haram, qui ont encore tout rasé sur leur passage, nous brasse pas plus que ça, comme si, involontairement, notre taux d’endurance face à la violence qui nous entoure s’élargit et s’endurcit de plus en plus pour nous donner la force de vivre, paisiblement, détachés de toute abstraction, parce qu’on ne se le cachera pas, c’est plus facile de faire comme s’il n’y avait rien, plutôt que de se fondre dans le malheur de ce que l’humanité subit au quotidien. C’est triste, vous trouvez pas?

C’est surtout triste de me dire que je pleure plus pour un film que pour la réalité, parce que celle-là, elle fait vraiment peur, beaucoup plus que l’horreur qu’Hollywood nous offre, mais, au fond, je sais que j’ai juste pas assez de larmes pour pleurer toute la souffrance du monde.

Alors j’écoute à moitié, les catastrophes et les tragédies, parce que je veux rester informer, sans plus que ça, m’imaginer ce qu’on peut éprouver lorsqu’on voit tous ses proches mourir autour de soi. Je déshumanise malgré moi les coups de fusil, les bombes, la violence, parce que c’est « normal » et que nos yeux se sont seulement ajustés à la couleur du sang.

De mon pays en paix, de mon quartier serein ou presque (j’habite quand même dans Hochelaga), j’essaye de voir mes petites tragédies du bon œil, en me considérant chanceuse d’être bien ici, au chaud, le ventre plein, avec du monde en vie, que j’aime, parce que pour le moment, c’est tout que je peux faire. Je peux pas changer le monde malheureusement, sinon la tristesse n’existerait pas. Si j’avais la chance, j’irais aider volontiers dans ces pays en difficulté, mais comme tout le monde, je suis prise dans un train-train qui m’oblige à travailler pour payer les factures, alors que d’autres doivent en plus se taper des devoirs, tandis que certains galèrent pour nourrir comme il se doit leurs enfants.

Pendant ce temps-là, j’attends impatiemment des nouvelles de la garderie du Nunavut à laquelle j’ai appliqué. Qui sait, j’aurai peut-être la chance de mettre des sourires dans le visage de quelques Inuits, ça change pas le monde sauf que… ?

Alexe Raymond, réviseure.

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