J’ai entendu une histoire, le type qu’on souhaite ne plus être témoin en 2015. J’ai eu le temps de me calmer, parce que si j’avais écrit dans le feu de l’action, mon papier aurait sans doute flambé sous un crayon plein de rage et d’incompréhension.
Lorsque mon ami m’a raconté ça, j’ai profondément eu de la peine. C’est venu me prendre en dedans pour me chavirer de tout bord, tout côté.
C’est que Antonin (nom fictif) est un garçon, et il tombe amoureux des garçons. De la même manière que certains préfèrent les femmes, que j’aime les hommes ou que, toi, ça t’est complètement égal ce qui se cache dans le fond des culottes de la personne qui fait bondir ton petit cœur.
Antonin prenait l’autobus avec son amoureux ce matin-là. De la même manière que certains avec leur blonde, moi avec mon copain ou toi avec ta fréquentation de l’heure. Au moment de se quitter, ils ont échangé un court bisou pour se dire « bonne journée », sans les mots. C’est leur 791e matin ensemble, pourtant celui-là ne sera pas comme les 790 précédents.
Le bus 800 était plein de monde, encore à moitié endormi. Antonin, maintenant seul dans un bus plein, entendait un brouhaha juste derrière son épaule. Une clique de jeunes s’est mise à lui crier des noms, à l’insulter : « Fif, on veut pas voir ça, maudite tapette. »
J’te jure, j’aimerais ça censurer et dire que c’est pas arrivé, qu’ils n’ont pas continué pendant de longues minutes à le confronter seulement parce qu’il avait donné un bec. Sauf que Antonin arrivait au travail dans trois arrêts.
Personne au grand personne n’a bougé le petit doigt. Tout le monde dans l’autobus entendait Antonin se faire humilier et, pourtant, personne est venu l’aider.
« Esti de tapette. » C’est deux arrêts plus tard, parce qu’il n’en pouvait plus de supporter le regard insouciant des uns et les paroles atroces des autres, qu’il est sorti.
Je sais pas ce qui me fait le plus de peine : la clique qui l’insultait ou le fait que tous les autres autour n’aient rien dit. Parce qu’on a ben beau être le matin et avoir encore les yeux dans le même trou, parfois il faut se réveiller et regarder « drette » devant.
J’espère que, si t’avais été là, tu aurais dit « ça suffit », que tu te serais levé pour tous ceux qui ont pas le culot de le faire.
Antonin a pleuré tout le long du chemin à pied ce matin-là. Il est arrivé au travail les yeux bouffis et le moral à l’envers. Tout ça, parce qu’il aime, qu’il a donné un bec comme toi, moi ou le voisin l’aurions fait.
Imagine comment c’est de te sentir persécuté pour un sentiment qui est tout ce qui est de plus normal, d’intime et qui concerne ta vie privée.
Lorsque Antonin m’a raconté ce qui lui était arrivé ce jour-là, j’avais mal l’imaginant là, impuissant, se faisant intimider sans que quiconque l’aide. Je lui ai alors dit : « Si j’avais été là, j’aurais lâché le bras de mon copain, pogné une fille et l’aurais frenché comme jamais en plein dans leur champ de vision juste pour voir leur réaction. Je leur aurais lancé : « L’amour les boyz, c’est universel au cas où vous seriez pas au courant! » »
Imagine! Là, j’ai eu le temps de me calmer.