Excessivement.
C’est l’adverbe qui s’accroche le mieux à la façon dont j’utilise les internets.
Surtout les réseaux sociaux.
Surtout Facebook.
C’est d’ailleurs sur ce dernier que j’ai vu pour la énième fois un article sur le mouvement enseignant syndical contre les coupes budgétaires en éducation. Ça fait craquer d’engouement mon masque d’argile!
Qui dit mi-session, dit taux de stress au-delà de la limite permise, et par conséquent, les récoltes de fraises sont bonnes dans ma face.
On s’entend-tu que le stress en dessous de 21 ans, ça devrait être tolérance zéro, ça aussi?
En tout cas, j’étais particulièrement fière de ces êtres surhumains qui donnent tout ce qu’ils ont pour assurer notre avenir à nous : les étudiants sincèrement reconnaissants, pis aussi aux autres, les étudiants bornés et nombrilistes. Ceux qui, yeux clos, pestent contre grèves et autres moyens de pression qui frôlent leurs apprentissages, mais n’aperçoivent pas les coupes budgétaires ravageuses. Ceux qui préfèreraient prendre la flûte et passer au dernier tableau : l’université.
Ceux-là, je les vois partout sur mes précieux réseaux sociaux. Partout.
Ils pondent des commentaires, ici et là. J’en découvre des nouveaux chaque fois qu’un article de journal contenant le mot cégep sort. Et j’en trouve si souvent que j’ai vérifié quel mois on était, tantôt, question de m’assurer qu’on approche bien de l’Halloween et non de Pâques.
La nuit, sur l’oreiller, je les entends scander qu’on devrait abolir les cégeps. Ça me fait de la peine.
Je voudrais leur répondre, des fois.
« On est les seuls à avoir des cégeps dans le monde, on devrait faire comme les autres. »
— Toi, t’as pas lu mon texte sur l’unicité. Fait que, j’te fais un résumé drette-là : être comme les autres, c’est plate rare. On mérite pas d’être ordinaires, on mérite d’être meilleurs que tout le reste du monde. Les cégeps, ça permet ça, justement.
« C’est ben simple, on rajoute un an au secondaire, pis un autre à l’université, et le tour est joué! »
— Bravo, tu comprends que 1+1=2. Sauf que, t’as oublié toute la délibération morale autour de la question. Peut-être que si tu accordais plus d’importance au cégep, tu écouterais en Éthique, et tu tournerais ta langue sept fois avant de parler.
Bon, c’est vrai. Je suis un peu condescendante avec ceux qui veulent abolir les cégeps, en ce moment.
Sorry, not sorry.
D’ailleurs, je m’adresse à toi, triste âme, y as-tu vraiment réfléchi (je veux dire, plus que trente secondes, là) avant d’écrire ton opinion préfabriquée par les médias-poubelles-créateurs-de-controverses-irréfléchies-et-futiles sur le Spotted de ton cégep?
Parce que si tu y avais réellement réfléchi, tu verrais que le cégep, c’est la meilleure chose qui soit.
Je t’explique.
Au départ, le cégep, ça existe pas pour te faire chier. Oui, je sais que t’as passé au moins 11 ans de ta vie à apprendre des matières qui suscitaient pas nécessairement ton intérêt, pis je sais que tu es tanné. T’as hâte de te lancer dans quelque chose que t’aimes, qui va te motiver. T’as hâte de travailler, pis de faire de l’argent pis de surconsommer jusqu’à te perdre dans un tas d’objets inutiles. Pis de perdre de l’argent, par le fait même. Pis de devoir travailler plus fort encore, pour pouvoir continuer de contribuer à l’économie et d’enrichir les plus fortunés. T’as hâte d’être à bout de souffle, d’oublier d’aller voter et de perdre progressivement les droits que tes ancêtres se sont fendus en mille-et-un pour acquérir. T’as hâte, sérieux?
C’est justement pour éviter ça que les cégeps ont été mis en place. Pas pour que tu arrives plus tard que prévu à cette vie-là. Mais pour que tu évites de mener une vie d’esclave du capital. Pour que tu apprennes à avoir un esprit critique. Pour que tu reconnaisses les bonnes décisions des mauvaises.
Pour que tu vois plus clair…
Alors, sur deux ans, tu peux étudier dans quelque chose que tu aimes (parce qu’on le sait que tu as hâte de faire quelque chose de concret) tout en ayant le luxe de recevoir des cours de base. Mais pas comme ceux que tu recevais au secondaire, des cours de base qui demandent une certaine maturité de ta part. Une maturité qu’il te faut pour être un citoyen libre et autonome. Des cours de français plus poussés, parce que plus tu connais le réel sens des mots, plus ta pensée est lucide. Des cours de philo pour t’apprendre à reconnaître les tricheries intellectuelles et t’aider à ne pas les reproduire. Pour accroître ton discernement et ta capacité à prendre des décisions selon tes valeurs. Pour que tu différencies l’essentiel au secondaire. Des cours d’éducation physique, pour t’apprendre à prendre soin de ton corps toi-même en mangeant sainement et en faisant du sport. Pour que tu continues, après ta scolarité, à faire oxygéner ton cerveau. D’où le fameux « esprit sain dans un corps sain ». Des cours d’anglais pour être capable de communiquer avec d’autres citoyens du monde. Pour pouvoir voyager et comparer ta société avec la leur. Voir ce qu’il y a de mieux ailleurs. Des cours complémentaires pour ajouter des connaissances plus spécialisées et plus à ton goût à ton baluchon culturel.
Et tout ça, c’est sans dire que les cégeps sont des fourmilières de projets artistiques et sportifs, qu’ils ont l’un des plus hauts taux de diplomation au Canada et qu’ils assurent le bon développement des régions.
Au cégep, tu reçois un cadeau de nouvel adulte : une trousse de départ pour une vie pleinement vécue. Pour atteindre un niveau supérieur, un esprit de qualité, libre et autonome.
Une vie où tu sauras discerner l’essentiel au secondaire, au lieu d’acheter n’importe quoi et de fréquenter n’importe qui. Une vie où tu raccorderas l’histoire au présent. Une vie où tu seras au courant de tes droits, et où tu verras les conséquences de tes actions ou de ceux qui dirigent ton pays. Une vie qui tournera pas juste autour du métier redondant que tu as choisi trop jeune et qui te fatigue, du ménage, de la famille, du souper et des séries télévisées. Une vie où tu prendras part, socialement, parce que tu sauras ce qui se passe autour de ton nombril. Une vie assoiffée de connaissances.
Une éducation comme ça, c’est précieux. Faut en prendre soin.
Et il faut remercier ceux qui la rendent possible : nos enseignants.
Il faut les soutenir.
Il faut se serrer les coudes.
Il faut continuer de partager le savoir.
Il faut être un citoyen éclairé.
Ce qui me fait penser : il faut pas oublier d’aller voter lundi prochain!
Photo de couverture: Dessin de Gregory Muenzen