L’écriture a toujours été pour moi, sans que je ne sache lui accoler des mots pour la définir, recueillement.
Rendez-vous grandiose et dérisoire avec moi-même que le langage initie, rameutant mes frissons oubliés, réifiant mes silences qui collent à mon épiderme, absorbant et incarnant en son sein un univers – ma vie – qui reste trop souvent muet, à fleur de peau. Écrire, c’est d’abord me faire le philosophe de moi-même. La philosophie, à mon sens, nomme ou représente ce qui est, ce qui fut de tout temps présent sans que personne ne s’en aperçoive. Écrire ou ancrer à l’encre noire ce qui, sans cela, circule invisiblement. Écrire ou accueillir sur ma peau, effleurant ma chair, le bruissement du vent estival, sa vague se trémoussant jusque dans les feuilles dansantes des érables. Devant mon écran, je procède à la liturgie des secrets que je noue avec le monde.
Aligner les mots pour noircir la vie trop blanche, certes. Mais aussi pour exorciser ma liberté que je bafoue religieusement à grands coups de journées banales. Ce ne sont plus les touches de mon clavier que je frappe, mais les couleurs du peintre que je suis qui se répandent dans l’univers. Sur ma page Word, je me travestis en espion amoureux, en archéologue des ruelles de Limoilou, en tombeur de ces dames. Soudain, je me révèle être digne de moi-même, j’épouse tous les possibles plutôt que de les laisser s’enfuir. Je réalise l’impossible, je deviens écrivain… Quand j’écris, je m’imagine glissant un poème dans toutes les boîtes aux lettres de la ville de Québec, faisant entrer dans la demeure de chacun, subrepticement, la substance miracle, le poème fixe et infini que tous contempleraient comme une Mona Lisa arrivée par magie dans leur salon. Quand j’écris, je deviens écrivain (non, mieux encore!), JE SUIS ÉCRIVAIN et c’est beau, vertueux même!
Mais n’entre pas qui veut dans sa crypte personnelle. Je suis un infidèle de l’écriture, un impie. Ma plume est la somptueuse église que je ne visite jamais, la confession que je repousse de semaines en semaines, le psaume que je ne connais pas encore. S’accomplit autour de moi, dans les librairies, dans les Maisons de la littérature et dans la plume de mes collègues universitaires, la grande eucharistie, la transsubstantiation : l’œuvre littéraire. Je laisse passer jalousement la procession, je me prosterne. Ce n’est pas la foi qui me manque, pourtant.
J’ai longtemps été effrayé, redoutant que mes mots n’exhument pas la moindre chapelle intérieure, qu’ils exposent plutôt au grand jour un néant que mon silence avait la décence de recouvrir. Aujourd’hui, c’est le néant de mon silence qui me hante. J’ai comme nouvelle colocataire la solitude, et la fenêtre de mon nouvel appartement s’ouvre sur la poésie urbaine, laquelle est dominée par un haut clocher s’élançant dans l’azur ocre de Limoilou. Tout est en place pour qu’advienne en moi un petit tremblement de terre spirituel. L’écriture sera toujours un sanctuaire intimidant pour moi, mais voici venir le temps de le fouler. Que retentissent les cloches et qu’on allume partout les serges; l’heure est au recueillement.
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