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Découvertes littéraires féminines

L’écriture au féminin souffre malheureusement souvent de préjugés défavorables. On la place d’ailleurs souvent dans le carcan d’écriture « féminine », alors qu’on ne stéréotype pas autant les auteurs masculins. Pourquoi? Parce que les femmes ont longtemps été interdites à ces efforts intellectuels et créatifs. On les contraignait dans des pratiques de bonnes filles, artisanat plutôt qu’art, broderie, clavecin et patati. Et puis, la Woolf a revendiqué une chambre à soi[1] pour écrire, en plus de cinq cents livres de rente (je parle pas de bouquins mais d’argent ici han, et je coupe court aussi dans l’histoire ok).

Et puis nous y voilà, en option rapido, à Montréal (surtout) en 2016. Je vous présente des auteures qui m’ont toutes happée, amusée, séduite, touchée, à leurs manières bien propres, bien exclusives.

ZVIANE

Mon coup de cœur des dernières années est définitivement la bédéiste Zviane (Sylvie-Anne Ménard). J’ai acheté chaque parution, et je suis toujours émerveillée de voir à quel point c’est une auteure qui se réinvente. Elle passe de sujets plus absurdes (Pain de viande avec dissonances, Pow Pow), à de la gymnastique intellectuelle sur la musique (Ping Pong, Pow Pow), à des sujets beaucoup plus personnels et touchants comme la dépression et les relations de couple (respectivement Apnée, Pow Pow *ma BD pref, et Les Deuxièmes, Pow Pow *ma 2e BD pref). J’ai tout de suite été séduite par son dessin et son univers. Elle joue avec les cases comme une vraie artiste; les espaces, les silences et les cases vides, par exemple, semblent toujours placés aux bons endroits. Sa formation musicale y est sûrement pour quelque chose. Autrement, je ne pouvais pas passer sous silence cette série de BD, dont je vous ai déjà parlé, mais qui m’anime toujours autant, L’ostie d’chat (Delcourt), coécrite ET dessinée avec Iris, une autre bédéiste à découvrir. Il s’agit d’une incursion humoristique dans un univers de gars, avec ben du poil, de chats comme de « mÂles ».

Sources – Apnée et Les Deuxièmes

JULIE DELPORTE

Le monde de la BD est encore majoritairement masculin, comme le prouve la polémique du dernier Festival de BD d’Angoulême. Ça me fait assez plaisir de vous présenter Julie Delporte, une autre bédéiste, née à Saint-Malo et qui habite Montréal depuis 2005. Ce qui frappe quand on ouvre une BD de Delporte, c’est la couleur (principalement au crayon de bois), la liberté de l’image, qui prend parfois toute la place et sur laquelle elle écrit. Le dessin semble naïf, voire délicatement enfantin, mais les sujets sont bien souvent de réels struggles d’adultes. Dans sa dernière (Je vois des antennes partout, Pow Pow), elle illustre le besoin de solitude, la maladie mentale, le rapport difficile au travail et l’éloignement. On vit l’exil du personnage, on ressent son malaise, on est captivé, transporté. Le même sentiment m’habitait à la lecture de Journal (L’Agrume), et du fanzine Les nouvelles béguines. À lire!

Source – Je vois des antennes partout

VÉRONIQUE GARNEAU-ALLARD

Pour rester dans l’univers du fanzine (publication imprimée et institutionnellement indépendante[2]), je suis tombée sous le charme de ceux de Véronique Garneau-Allard en 2013, au Salon Nouveau Genre de Québec. Très humoristiques, assez sarcastiques, féministes et rentre-dedans, ses fanzines (parfois imagés) transportent dans un espace irrévérencieux et anti-censure. Elle parle de sexualité sans politesse (Je veux jouir), de relations amoureuses déchues (La provocatrice de porcelaine), et elle me fait rire en « torrieux » avec ses mini-fanzines qu’elle titre elle-même Proverbes faibles. On peut lire entre autre le Spécial Dieu et le Spécial Sexe faible. À lire définitivement, si vous aimez l’humour décapant et le monde qui arrête de s’excuser pour tout.

Source – La provocatrice de porcelaine

MAUDE VEILLEUX

Dans le même ordre d’idée, la poésie de Maude Veilleux n’est pas là pour s’excuser. Elle rentre au poste, elle égratigne et râpe au passage. Dans un joual tout assumé, la poète parle de relations amoureuses (Les choses de l’amour à marde, L’Écrou), d’une manière crue mais foncièrement juste : « Nous avions le même char/Deux Hyundai Accent rouges/Qu’on stationnait côte à côte/Nos deux chars comme/Nos deux âmes/Collés jusqu’à ce que ça scrape ». Des images simples, concrètes qui, mises ensemble, rendent le tout lucide et authentique.

DAPHNÉ B.

Auteure de poésie et créatrice (avec Marie Darsigny et Sara Hébert) du blogue littéraire par et pour des femmes Filles Missiles, Daphné B. est une créatrice multimédia très florissante. Son recueil, Bluetiful (L’Écrou), est une incursion dans l’univers féminin de la génération Y. Références à la culture pop actuelle, à l’usage de l’ordinateur, d’Internet, de Facebook, on y sent les déboires que provoquent les relations numériques au détriment du vrai, du grand sentiment amoureux, que seule l’écriture peut soigner : « deux pingouins s’embrassent/sur mon fil facebook/la solitude n’a pas d’âge/elle a toutes les heures ». C’est un recueil précieux pour toutes les filles qui ont déjà été tannées d’être cutes pour les autres, pour les gars aussi, qui gagneraient à lire un texte aussi délivré et émancipé. Dans le même ordre d’idée, vous irez lire son texte My Peroxyde Days, qui raconte les déboires d’une brune qui ose le blond, et le regard, toujours, de ceux qui pensent qu’ils ont quelque chose à dire. Aussi publié, son fanzine Snif, poème de single ladies, petit bijou. Son blogue, Filles missiles, est en appel de texte jusqu’au 1er mai. Le thème? Magie!

MARIE DEMERS

Ben oui, un roman, j’y arrivais. Je suis tombée dans cette histoire (IN BETWEEN, Hurtubise) d’environ deux cent pages, en à peine une journée. Ça se lit extrêmement bien, le langage est adapté à notre réalité, des références en anglais parsèment le texte et rendent le tout authentique. On suit les périples de la protagoniste à travers l’Asie, l’Amérique du Sud, l’Europe et le Québec, cet endroit où elle ne veut pas revenir depuis la mort de son père. C’est le récit d’une jeune femme qui se cherche, qui va se perdre au bout du monde pour oublier, mais qui, foncièrement, apprend à connaître ses forces comme ses faiblesses en voyage. Marie Demers a une écriture incisive, parfois colérique, mais tellement aiguisée qu’elle va pointer directement le bobo. Relation mère-fille, femme-homme, fuite, affirmation de soi, IN BETWEEN est un véritable roman d’apprentissage. Pendant qu’elle critique sa vie, son entourage, la jeune femme se retrouve devant la misère humaine, grandiose misère, de peuples qui n’ont plus rien. Et on n’essaie pas de nous rendre le récit moralisateur, au contraire, on y embrasse nos erreurs, et c’est ce qui fait du roman de mademoiselle Demers, une œuvre si intéressante.

« Avec les années, je suis devenue la fille qui n’a envie de rien. Je suis un personnage secondaire triste d’un téléroman poche. Je suis une wannabe Jane Eyre, l’héroïne de Charlotte Brontë, orpheline laide et troublée. Mais la vraie Jane, insultée, fronce les sourcils dans mon subconscient. « Tu es loin de me ressembler, jeune fille. » Elle a raison. Aucun feu ne brûle au fond de mes yeux, aucune passion amoureuse secrète ne me trouble. »

À lire, si vous avez envie d’humour intelligent, de moments de voyage autour du monde, et d’une prise de conscience sur ce que c’est, être une femme dans la vingtaine, qui se cherche devant vous avec beaucoup de fragilité, mais cachée derrière un mur de briques.

Bonne lecture!

***

Source photo couverture

[1] Une chambre a soi, Virginia Woolf

Source [2]

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