À chaque début d’été, mes petits pieds vierges entrent dans mes ballerines ou mes gougounes sans se douter qu’ils auront l’aire lépreux d’ici deux semaines. L’art de mettre des p’tis bas mystères, subtilisés dans les souliers, n’est définitivement pas mon affaire. Et puis, les espadrilles confortables, c’est pas chic. Je préfère donc les chaussures à ras le plancher et mes ampoules se forment, s’aggravent, se percent, se refont. C’est une jolie boucle qui revient tout le long de l’été, jusqu’à ce que mes pieds forment enfin une couche suffisamment dense de corne, juste avant l’automne. Je suis consciente d’avoir les petons protégés, il y en a qui marchent pieds nus et, pourtant, je continue de briser mes pieds, parce que c’est plus joli des petites chaussures sans support. Une personne fiable dont je ne me souviens plus le nom a déjà écrit ou dit : « Il faut regarder les chaussures d’une personne pour comprendre une personne. » Mais avouez qu’il est rare d’être charmé par une personne portant des Merrell bruns. C’est peut-être pourtant celle qui prend le plus soin d’elle-même…
Le phénomène est aussi présent au niveau des cuisses. N’ayant moi-même pas de thigh gap, dixit les cuisses qui frottent depuis la sixième année, je vois venir en grand les jours humides et estivaux.
Mes pauvres cuisses, si heureuses d’être enfin libérées de mes collants, leggings ou pantalons quelconques et attendant, vibrantes, le moment de respirer librement dans mes belles jupes longues et légères, deviennent vite chigneuses. D’abord, c’est le frottement doux, puis l’enflure, le frottement sur l’enflure et, enfin, la démarche de canard. Il y a bien les cuissards qui aident, j’ai aussi des amies qui osent, de manière éhontée, la technique Cera, qui s’applique du déo sur le dedans des cuisses avant la course.
Quoi faire, donc? Oubliez les culottes-courtes courtes? Damnation! La mode du bermuda a été reléguée aux oubliettes depuis le retour du short de sport des années 70…
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Et vous, transporteriez-vous vos cigarettes dans vos jolis bas chauds en patins? Ce sont, bien entendu, des shorts sans poches – vous l’aurez compris, sauf celles de ces messieurs.
Mon corps aimé l’été, mon corps déteste l’été. J’aime la mode, je déteste la mode. Pourquoi je ne passe pas l’été en culottes-courtes longues avec mes Crocs? Je ne sais pas. Peut-être parce que tout le monde me dit que c’est « laitte », des Crocs… Faudrait peut-être commencer là : dans le dégoût du vêtement ou la peur de représailles vestimentaires.
Ça ne date pas d’hier, cette peur, je pense. Je me rappelle mes années au terrain de jeu, alors qu’avoir des espadrilles blanches désignait le summum du cool, et que je portais les vieilles Converses de ma sœur. « Des souliers de clown, » comme disaient mes ami.es, à l’époque. Il faut croire que la mode change. Je ne vous l’apprends pas, j’espère.
Outre le refus du confort, l’industrie va aussi vers une obsolescence programmée du vêtement : le marché, donc la commercialisation et, donc, les clients. Quand on achète un vêtement ou une chaussure et qu’on pense à son utilité en termes de beauté, au profit du confort, il y a de bonnes chances qu’on finisse par s’en débarrasser. Aussi, le fast fashion a tendance à être de moindre qualité, ce qui fait qu’on en rachète au début de chaque été : « This is practically the dictionary definition of throwaway fashion, stuff designed to be worn a couple of times and chucked at the end of the summer. It’s pitched as a bit of fun, but when you factor in the environmental cost of making the fabric (polyester can be made from oil byproducts or recycled plastics), shipping the bikini from wherever it’s sewn together and ultimately burying it in landfill – suddenly it doesn’t seem quite so feel-good. »
La peur, donc, et le dégoût, disais-je. Ayant été une grande partie de mon enfance habillée avec les lègues de mes frères et sœurs plus âgé.es, j’ai du apprendre, à mon grand damne, à accorder de l’amour aux vieilleries, guenilles et autres vêtements de slow style.
À l’inverse du fast, le slow survit au temps et vient avec une mémoire. Au lieu d’aller acheter dans une grande chaîne une veste ou une robe qui copie l’époque baba-cool, on peut se rendre à la friperie, à l’église ou chez sa grand-maman – une alternative qui propose souvent des tissus et des fabrications plus méticuleuses, ainsi qu’une bonne conscience en matière d’environnement. C’est ainsi que Lally MacBeth, résidente de Brighton, en Angleterre, a acheté dans une friperie une robe ayant appartenue à sa mère quelques décennies plus tôt : « I saw this dress and felt drawn to the print – it was a strange feeling. I didn’t have much money, so I tried it on and then left the shop to think about it. I called Mum for advice. She said: “That sounds really similar to a dress that I had once and gave away.” »
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Dans son article publié en juin, Sirin Kale présente Lally, ainsi que plusieurs autres personnes qui, comme elle, possèdent certains vêtements depuis 40, 30, 20 ans : certains morceaux passés de génération en génération, d’autres, trouvés dans des cavernes d’Ali Baba – une salopette des années 80, une paire de bas indestructible, un gilet tricoté par une mère 37 ans plus tôt… Je porte moi-même certains vêtements de ma grand-mère, de ma mère, de mes tantes ou de mes sœurs. Notre cofondatrice à La Fabrique, Mary Lynn, est elle aussi une habituée du slow fashion.
Pourquoi donc s’évertuer à porter des vêtements inconfortables et à la détérioration immanente, alors qu’on peut éviter de se briser les pieds en portant les vieux Merrell bruns de notre mère? Je vous le demande.
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