La correspondance me fait rêver, profondément rêver. Je ne prendrais jamais la place d’un jeune homme de vingt ans dans les années 40; avoir vingt ans à cette époque signifiait qu’il y avait de fortes chances d’être plongé dans la Seconde Guerre mondiale. Je ne prendrais jamais cette place, mais j’aime me représenter les quelques minutes dans lesquelles le soldat, exténué, blessé, cerné par l’angoisse, la mort à ses trousses, décachète une enveloppe et reçoit, béat, les mots doux de sa blonde. Dans ce monde qui basculait dans l’enfer, combien tous les bruits environnants – bombes au loin, avions de guerre – devaient, l’instant de quelques mots intimes, l’instant d’un répit amoureux, disparaître.
Il m’arrive également de songer aux hommes éduqués des siècles passés, ceux dont l’activité de correspondre occupait une part non négligeable du temps dont il bénéficiait dans une journée. Quelle fantastique maîtrise de la langue devait-il posséder! Et imaginez un instant la nature des liens de ces gens qui, jour après jour, partageaient entre eux les mots issus du silence, de la retraite, de la confidence. Disons simplement que texter ne possède pas la vertu secondaire d’être un moment de méditation et de recueillement comme pouvait l’être l’acte de composer une lettre.
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Je rêve d’une authentique relation épistolaire. Comme il faudrait soupeser chaque mot! Prendre le temps de les choisir, prendre beaucoup de temps. Les emprunter, ces mots, pour qu’ils reflètent, le plus fidèlement possible, les images contemplées et concoctées au fond de soi dans l’acte de l’écriture. Les choisir avec le soin d’une caresse, avec précaution, avec amitié, avec passion parfois, en se représentant la réaction de celui ou celle à qui ils seront destinés
Et les recevoir! Et les emporter avec soi pour les lire tout près de sa poitrine. Les lovés, ses mots espérés, attendus, fantasmés, au creux de son intimité pour qu’ils puissent vibrer dans tout le corps. Recevoir une lettre de confidence amicale ou amoureuse, n’est-ce pas décacheter une parcelle d’âme? Et reconnaître dans la forme des lettres tracées sur la feuille et dans l’inclinaison particulière d’une écriture l’équivalent d’une signature sonore. La personnalité d’une main tremblotante ou ferme, une écriture soignée ou rapide, une calligraphie géométriquement parfaite ou parfaitement illisible; si chaque voix a son timbre unique, chaque main a sa signature.
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Parce qu’il y a des mots et des choses qui ne se disent pas, ou qui se disent mal. Parce qu’à quelques centimètres de soi, le visage d’autrui, celui qui nous scrute, qui attend de nous une réponse rapide, exige une spontanéité, spontanéité qui nous fait choisir les mots qu’on a sur la langue plutôt que ceux qu’on a dans le cœur. Parce qu’il y a des sujets plus difficiles, des états d’âme parfois complexes à exprimer, parce que notre pudeur naturelle ne nous permet pas toujours de dire ce que nous voudrions; pour toutes ces raisons et bien d’autres, il y a les mots écrits et le bonheur de correspondre.
Quelqu’un de précieux, quelqu’un avec qui je correspond désormais m’a offert ces mots :
« On disait “entretenir une correspondance”. Et, c’est un mot tellement beau, tellement juste : on correspond parce qu’on se correspond. » – Alain Raymond