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Comment mesure-t-on la réussite ? C’est une question que je me suis beaucoup posée d’avril à juin, alors que la sécheuse de la buanderie de mon bloc était brisée et que je me rendais chez mes parents pour y faire ma lessive. J’y ai repensé il y a quelques semaines, alors que la laveuse de cette même buanderie a cessé de fonctionner. J’ai appelé ma mère, j’ai ramassé ma poche de linge, j’ai pris la voiture et quelque part sur l’autoroute 20, je me suis demandé si on pouvait vraiment considérer qu’on est un.e adulte accompli.e quand on a 35 ans et qu’on apporte son linge sale chez ses parents.
J’habite dans un 2½, un demi-sous-sol semi-meublé sans laveuse-sécheuse. J’ai emménagé dans cet appartement il y a une dizaine d’années. C’est devenu chez moi. Quelque dix ans plus tard, je prendrais bien un ou deux garde-robes de plus et avec le télétravail, je dois admettre que ce serait chouette d’avoir une pièce dédiée uniquement à mon bureau, mais sinon, ça me convient bien, quand même. Je n’ai pas besoin de beaucoup plus d’espace et je ne rêve pas vraiment de devenir propriétaire (sauf peut-être d’une mini-maison sur un grand terrain). Bien sûr, quand toute la buanderie pète, je me dis que ce serait vraiment plus pratique d’avoir mes propres électroménagers. En même temps, si ces électros pétés m’appartenaient, je ne suis pas certaine que je gérerais les réparations dans le bonheur et l’allégresse ; ce serait probablement plus dans l’angoisse et l’arrière-goût amer de me faire fourrer.
Je n’ai jamais accordé beaucoup d’importance à l’image que ça pouvait renvoyer de moi, sauf cette fois sur l’autoroute, avec ma poche de linge sale sur la banquette arrière. J’ai pensé à la réussite, à la façon qu’on a de la mesurer. Fût un temps où un.e adulte qui a réussi était un.e adulte marié.e, avec une maison, des enfants, un chien et deux voitures dans le driveway. À une époque où le nombre de divorces explose et où il n’y a jamais eu autant de personnes habitant seules, cette mesure de la réussite est de toute évidence à revoir. Malgré tout, on continue souvent à associer la réussite à l’image qu’on projette de nous.
Comme cette fois où, toujours en route vers la maison familiale, un auditeur a appelé à la radio pour exprimer son dédain envers le mouvement minimaliste, pour expliquer à quel point il faut être limite paresseux pour adhérer à ce mouvement-là et à quel point avoir des idées de grandeur, c’est une motivation. Comme quoi l’objectif à atteindre serait d’avoir non seulement une maison, un.e époux.se, des enfants et un chien, mais une maison, un chalet, un char pis un bateau.
Comme cette fois où un gars a tenu devant moi des propos un peu méprisants sur les professions et où je lui ai souhaité de tomber en amour avec une coiffeuse. Il avait répondu : « Mais c’est impossible. J’ai besoin de quelqu’un avec de l’ambition. » Aux dernières nouvelles, une coiffeuse a aussi le droit de diriger sa propre entreprise, de créer sa propre gamme de produits, d’enseigner, de donner des séminaires et d’apprendre 18 langues dans ses temps libres, mais apparemment, son seul titre professionnel suffit pour faire d’elle une personne sans ambition.
On associe souvent la réussite à l’image qu’on projette de nous, mais je ne suis pas certaine que c’est une mesure fiable. Peut-être qu’on aurait intérêt à gratter un peu pour voir ce qui se cache sous la surface, derrière, la maison, le chalet, le char et le bateau. J’ai un travail que j’aime et en bonus, il me permet de bien gagner ma vie. J’ai des personnes significatives qui font partie de ma vie : ma famille, mes ami.e.s. J’ai des loisirs qui me nourrissent. En aucun cas je n’échangerais ça contre une laveuse-sécheuse.
On associe souvent la réussite à l’image qu’on projette de nous… mais la réussite, finalement, c’est peut-être juste d’être heureux.se.