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C’était même pas drôle!

Il y a toujours cette date, sur le calendrier, qui m’érafle la cicatrice de ton absence.

La douleur que devraient estomper les années est pourtant plus cuisante au fur et à mesure que ma mémoire atténue la clarté d’un souvenir que j’ai de toi. Ton départ n’était pas soudain, pourtant. Avec un diagnostic vieux de neuf ans, j’aurai eu du temps pour m’y préparer.

Mais peut-on vraiment se préparer à devenir orpheline? Ce n’est pas comme de choisir de faire du bungee: À trois, prête pas prête, j’y vais! J’aurais invoqué toutes les décimales entre deux et trois pour que tu ne partes jamais, même si c’était égoïste de ma part. Quand on se dit, au salon funéraire, devant un cadavre blafard couché dans un cercueil, que c’est mieux comme ça parce que la personne aimée ne souffre plus, c’est souvent un pieux mensonge. Je voulais que tu sois soulagé, pour vrai. Mais j’aurais préféré que ce soit par une incantation magique; on agite une baguette, on baragouine quelques mots qui riment et POUF!, tu te serais rétabli.

Tu avais eu tellement de rémissions, de rechutes et de rétablissements inespérés que j’avais fini par te croire plus fort que la mort, papa. On a vraiment cru que tu partirais en novembre, lorsque tu as été hospitalisé. De te voir triompher de cette fatalité et te rendre jusqu’au printemps t’avait conforté au rang du super héros auquel je t’avais élevé. Mais toi, tu savais qu’il n’y avait plus d’issue et, malgré nous, tu as tenté de nous préparer, mes frères et moi, à une vie à laquelle on n’aspirait pas : une vie sans toi.

Il faut dire que, depuis notre naissance, tu avais toujours été là à prendre soin de nous. Pendant une période de notre enfance, tu as même été notre mère, en plus de notre père. Je pense que tu aurais voulu nous protéger de toutes les erreurs, de tous les pièges et de chaque difficulté de nos vies. C’est peut-être comme ça que tu t’es épuisé, surtout que tu gardais tout en-dedans jusqu’à ce que ça explose en une spectaculaire conjugaison de gros mots. Même si on s’est rapprochés dans les dernières années de ta vie, il y a tout un pan de toi qui me restera à jamais inconnu. Je ne peux que demander à tes sœurs ou tes frères comment c’était.

On m’a souvent reproché de te ressembler, à cause de mon caractère prompt et de mon entêtement. C’est pourtant un des plus beaux compliments possible que d’être comme toi et j’en suis fière. Fière de croiser chaque matin ton regard quand je me fixe dans un miroir. Fière d’avoir ta tête de mule, aussi. Mon plus gros regret, c’est que je n’ai jamais eu l’occasion de te voir fier de moi, de la femme que je suis devenue après avoir tant trébuché dans mon existence. Tu es parti en t’inquiétant pour moi. J’aurais tant aimé que tu saches ce dont j’étais capable et que tu me vois réussir à me frayer un chemin à la mesure de mes épaules.

C’est pour que tu partes sans inquiétude que j’ai nié mon anniversaire, ce jour-là. Au matin, ta respiration était pénible et tes os te faisaient mal. Tu as arraché le cathéter que les infirmières voulaient te laisser dans la peau pour faciliter leur boulot lorsque venait le moment de t’injecter de la morphine. Tu en avais assez de ton corps qui te faisait mal, nul besoin de te blesser l’âme en t’inquiétant en plus.

J’avais pris l’habitude de quitter ta chambre en te disant un « Je t’aime » pour tous ceux que je ne pourrais plus jamais te dire, mais surtout pour que tu saches, si tu devais quitter ce monde en mon absence, quel père merveilleux tu avais été. Quand j’ai substitué à ton habituel « Je t’aime » un « À demain », tu as plongé ton regard dans le mien et j’ai alors compris que c’était la dernière fois que je te voyais vivant.

Tu as toujours eu un curieux sens de l’humour. Tantôt taquin, tantôt ironique, ton plus gros plaisir était celui de me faire marcher, moi qui prends la plupart du temps ce qu’on me dit pour réel. Je me méfiais un temps, puis je recommençais à te croire sur parole et c’est là que tu frappais, encore. Combien de blagues plus ou moins drôles tu m’as faite juste pour me voir piquer une colère tellement je détestais me faire prendre par ma naïveté.

Mourir un premier avril, LA journée consacrée aux blagues, on peut dire que ce n’était pas ta meilleure… Je n’y ai pas cru, lorsqu’on me l’a dit et plus tard, lorsque je suis arrivée à l’hôpital, la chambre avait été vidée, ton corps emporté de la morgue par l’entrepreneur des pompes funèbres chargé de te préparer. Aucune preuve. Juste ton absence.

Et ça, c’est même pas drôle.

Source couverture

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