J’en ai échangé des courriels, des pokes, des numéros de cellulaire, des regards. J’en ai visité des sites de rencontre, des pistes de danse, des 5 à 7 et des bars. J’en ai rencontré des bons gars, des hommes à marier, des versions de l’homme idéal. Je me suis détesté de ne pas les aimer, leur laisser une chance, les consommer. J’en ai inventé des histoires pour ne pas les revoir, les rappeler, me justifier. J’ai été ignoré, déçu et rejeté.
All is fair in love and war. En amour comme à la guerre, tout est permis. Parce que sur le champ de bataille du célibat, ce ne sont pas les femmes et les enfants d’abord, c’est chacun pour soi. On n’est pas sur le Titanic, quand même…
Il y a cependant un rite de passage qui ne m’a jamais interpellé au point de miser tous mes jetons sur ma vie sentimentale. Je parle ici de l’exercice du blind date. Pourquoi jouer à la roulette russe avec ton vendredi soir, quand tu pourrais déjà savoir que le gars a les dents jaunes (celles qui lui restent ), souffre de calvitie (en dessous de sa casquette ) et doit rentrer avant 21h (exigence de sa libération conditionnelle ), grâce à son profil Facebook repoussant et non sécurisé? À l’époque, je considérais une candidature seulement après avoir feuilleté un album de famille, consulté un dossier à la SAAQ et analysé un bilan sanguin. Pas de chance à prendre, pas de temps à perdre.
Un échange téléphonique m’a également évité une soirée embarrassante quand j’ai cru m’adresser à sa mère, avant de réaliser avec effroi que c’est par cette belle voix aiguë et nasale que je me ferais offrir du café le samedi matin « Un bon p’titcafééééééééééiiiiiiiii??? ». On pourra bien reprocher à la technologie de nous éloigner les uns des autres, parfois, c’est pour le mieux.
Avec Célibataires au menu, Canal Vie propose de s’immiscer entre deux inconnus testant leur chimie devant les caméras. Le concept de l’émission, d’une simplicité absolue, consiste à filmer trois couples au restaurant du moment où ils posent le regard l’un sur l’autre, pour la première fois, jusqu’à ce qu’ils se révèlent, en toute honnêteté, si un futur est envisageable.
Ils feront ainsi connaissance au bar, alors qu’un participant attend l’arrivée de sa date, qui se pointe le bout du nez, bien en vue, à l’autre bout de la pièce. Déjà, les malaises abondent, on peut pratiquement entendre le monologue intérieur de chacun : « Fuck, un roux!!! » « Duuuude, check moé donc la babe!!! ».
De mon côté, c’est le joli barman qui me donnerait le goût de caler mon gin-tonic avant de lui donner rendez-vous dans la toilette des employés pour un tête-à-tête qui nécessiterait plus de censure qu’un épisode de Game of Thrones à l’heure du souper.
La nervosité des candidats donne parfois lieu à des échanges plutôt cocasses, du genre:
–Bonjour, moi c’est Guy.
–Bonjour.
–Ton nom?
–Johanne, toi?
–Guy…peux-tu me rappeler le tien, je n’ai pas la mémoire des noms.
–Johanne, toi déjà?
–Guy…
–Enchantée, Marcel.
Ils auront par la suite le temps de l’entrée, du plat principal et du dessert pour apprendre à se connaître sous l’œil attentif des caméras. Parfois la complicité est palpable, le vin détend l’atmosphère et la conversation est fluide. Pour d’autres, même un vignoble au complet n’arriverait pas à faire naître un infime début d’attirance, pour le plus grand divertissement du téléspectateur.
La production ne semble pas viser un match parfait à tout coup. Rares sont ceux qui cliquent à première vue. Contrairement à Occupation Double, Célibataires au menu n’a pas peur de présenter des candidats qui ont passé l’âge de frencher dans le spa, à moins bien sûr, d’en profiter pour soulager au passage des douleurs articulaires.
Mario St-Amand assure la narration de sa voix rassurante et chaleureuse. Il nous fait part de ses observations et donne le ton aux échanges. D’ailleurs, avec un tel instrument vocal, le comédien pourrait m’annoncer que ma carte de crédit vient d’être clonée que je garderais le sourire pour le reste de la journée.
Un premier rendez-vous n’est jamais facile, la pression de faire bonne impression, la peur du rejet. C’est pourquoi, quand vient le temps du blind date, c’est beaucoup plus divertissant d’en regarder à la télé plutôt que d’essayer de repousser les avances d’un gars qui ressemble à ton père.