Il y a quelques semaines, une des mes amies proches vivant outre-Atlantique m’a fait part d’une de ses réflexions, avec le sentiment que nous pourrions, à l’aide de nos expériences respectives, apporter un petit bout de lumière à un problème bien plus grand que nous.
Ce problème, bien que peu abordé dans nos cercles est effectivement énorme. Il s’agit du rapport complexe d’une génération avec les modes de protection et de contraception en jeu dans nos sexualités aussi diverses soient-elles.
Voilà en gros, ce que m’a dit cette amie, du cru, du pur, du ressenti :
« J’ai 24 ans, née en 1993, je suis d’une des générations du plaisir latexé. J’entends parler du sida depuis que je suis petite, mais je n’ai jamais, je pense, rencontré une personne qui en est atteinte. Soumise à l’automatisation médicale et sociétale des relations protégées, j’ai le sentiment d’avoir commencé à me questionner sur le réflexe du port depuis peu si on considère que je suis active sexuellement depuis de nombreuses années maintenant.
Assez responsable dans la vie de tous les jours, « je vis souvent la capote comme un fardeau ». Percevant cette pensée comme une honte, j’en ai parlé à mon entourage. J’ai écouté ce qu’ils avaient à dire sur la relation à trois qu’ils entretiennent régulièrement avec ces deux partenaires. Le contact avec l’un se vit comme un désir, une pulsion, une tendresse, une spontanéité. On veut le goûter, le sucer, le croquer, l’attacher, le mordre, le baiser. Puis vient l’autre, ce bout de plastique perturbateur que l’on vit souvent comme une obligation, une texture, une contrainte parfois, une odeur, une pause quand on ne voudrait pas s’arrêter…
En discutant avec des gens autour de moi je me suis rendue compte que j’étais loin d’être la seule à ressentir cette gêne. La gêne, elle ne vient finalement pas du bout de condom qu’on partage dans une partie de jambe en l’air ; elle vient plutôt d’un sentiment de culpabilité à l’idée de ne pas réussir à rendre automatique un geste qui devrait l’être. »
Cette pensée, ou ce constat plutôt, je le partage, sans jamais me l’être formulé auparavant. Ses mots font sens pour moi, car je me reconnais dans cette problématique, dans nombre de situations durant lesquelles j’ai cédé au désir. Souvenirs « malaisants » de ces moments qui nous font perdre le contrôle, oublier les conséquences, oublier une réalité dans laquelle les maladies et les bébés se font et entrent en nous sans nous demander la permission. J’ai le sentiment que nous vivons dans l’illusion d’une connaissance de ces enjeux, sans en mesurer l’importance ni la proximité directe avec nos habitudes, nos pratiques sexuelles et nos modes de vie en général.
Au-delà de cela, le fait même que nous ne nous posions pas tant de questions que ça, nous évoluons avec des certitudes en arrière-plan de nos actes tout en sachant à quel point ces dernières sont bancales.
« Ta pulsion, ton désir ? Est-ce que c’est pas avec ce sentiment que tu te bats quand t’es directement face à la situation de t’assumer dans les choix que tu portes et défends ? Il arrive ce moment où, comme dicté uniquement par ton corps, tu ne sais plus faire la part des choses, tu penses au plaisir instantané que tu veux vivre, sans évoquer le bonheur plus global, qui lui te dirait « tu prends un risque, réveille-toi, pense avec ta tête ». Contrôler ses pulsions ? C’est pas ce truc qu’on devrait nous apprendre à l’école, petit quand tout ce que tu es se façonne ? Nous apprendre que le désir c’est un sentiment, que comme la tristesse ou la joie ils sont nécessaires à ton développement, mais ne doivent pas pour autant nuire à ton bien-être, il doit être assumé pour te faire vivre 1000 expériences joyeuses, mais trouve sûrement ses limites dans le respect que tu te dois d’accorder à l’autre et à toi-même aussi. Parce que toi-même t’es important, retiens-le… »
Face à une multitude de méthodes qui nous protègent d’une part des maladies, d’autre part des grossesses (voire les deux), rien ne change. Face à un partenaire qui nous susurre à l’oreille dans la chaleur d’un lit qu’il ou elle est clean, que les tests sont récents, qu’il va se retirer, qu’elle prend la pilule ou tout autre moyen de contraception, on prend les risques quand même, on s’enfonce nous-mêmes dans la spirale de la culpabilité, de la peur, et malgré ça, on recommence, encore et encore, s’entraînant, nous et les autres là où personne ne veut aller.
Alors, avant que les mauvaises choses se passent, nous sommes, femmes et hommes capables d’apprendre de nos erreurs. Cette prise de conscience, je suis convaincue qu’elle se passe dans des millions de jeunes cerveaux (et de moins jeunes aussi), il n’est pas trop tard pour reprendre les rênes de nos sexualités, de s’affranchir de la norme pour prendre en main nos corps et les décisions importantes qui s’y appliquent. Avec ceux que l’on connaît un peu, et ceux que l’on connaît bien, nous nous devons d’avoir the talk, celui qui ne fait pas forcément plaisir et qui n’est pas très glamour. Malgré ça, rappelons-nous que cette discussion est essentielle, elle sauve des vies, que ces deux minutes de perdues à aller chercher le préservatif dans la salle de bain, ce sont des heures qu’on ne passera pas à la clinique d’avortement ou au centre de dépistage. C’est une confiance gagnée et des câlins délestés d’une crainte sous-jacente avant, pendant et après.
Du coup cap ou pas cap de faire en sorte que ton bien-être et ta santé passent en premier, que celui de l’autre soit essentiel aussi? Cap de prendre tes responsabilités? Ces questions vont de pair avec un accès à l’information et une ouverture de l’échange face à ces questions-là. Si tu ressens un manque de connaissances ou que tu te sens seul-e dans cette prise en charge de toi-même, sache que tu ne l’es pas.
Au Québec, il existe des centaines de centres de dépistage, des dizaines de centres de femmes, des personnes présentes pour t’écouter pour toutes sortes de besoins.
Il y en a même qui font des blagues et qui nous informent en même temps… ici !
Sur ce, moi je vais au Jean Coutu m’acheter un paquet de Durex et un test de grossesse, y’a pas de mal à prendre soin de soi.
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