Je vis des difficultés psychologiques et je ne sais honnêtement pas si un jour je pourrai dire que c’est fini. J’ai des épisodes dépressifs récurrents, des comportements alimentaires problématiques depuis une décennie et j’ai récemment reçu des diagnostics officiels de trouble alimentaire et de trouble du stress post-traumatique (TSPT). J’ai aussi un trouble déficitaire de l’attention (TDA), mais les TDA sont beaucoup moins tabous, je n’ai presque pas honte de mes oublis employés du mois, de ma concentration en vacances ou de mon inhibition en grève.
Une psychiatre m’a prescrit des antidépresseurs et des somnifères. Je ne suis pas traitée pour mon TDA parce que mes difficultés de concentration peuvent être dues à mon TSPT, de même que mes oublis.
Je trouve ça dur. Être triste ou anxieuse ou angoissée ou désespérée, c’est épuisant.
Ça m’arrive de passer des journées entières dans mon lit et d’être fatiguée de ma journée et de ma nuit parce que j’ai trop pleuré et que j’ai mal dormi.
Ça m’arrive de faire un examen et que mon cerveau me joue des tours et décide de repasser le film de flashbacks traumatisants dans ma tête pendant la distribution des copies d’examen, de faire une crise d’angoisse et d’obtenir 30% de moins qu’à l’habitude.
Ça m’arrive d’être entourée d’ami.e.s, d’avoir du plaisir, de me dire que ça fait du bien, voir du monde, puis qu’une blague ou une allusion au 4e degré stimule la boîte de Pandore de traumas dans ma tête et que je sois en dissociation, comme si je ne vivais plus ce qui se passe et que j’étais juste une spectatrice.
Ça m’arrive de tellement manger que j’ai mal au ventre et que ce mal de ventre me fasse du bien parce qu’il me distrait du mal dans ma tête. Ça m’arrive de vouloir me soûler toute seule pour oublier et de me rappeler que la seule fois que je l’ai fait j’ai pleuré trois fois plus longtemps que les jours précédents et suivants et que j’avais perdu le contrôle de ce que je buvais, comme quand je perds le contrôle de ce que je mange.
Ça m’arrive d’être heureuse quelques jours de suite et de me sentir coupable, comme si je n’étais pas une bonne malade mentale, une bonne dépressive, une bonne traumatisée, une bonne hyperphagique, de vivre du bonheur plus que trois minutes.
Ça m’arrive de penser au suicide et de me rappeler fort fort fort que ce n’est qu’une passe difficile, que la mort n’est pas la solution magique qui me guérira de mes maux, mais de trouver ça vraiment difficile à croire quand ça fait une demi-heure que je pleure en public et qu’aucun.e des passant.e ne s’arrêtent pour me demander s’ils peuvent m’aider. Ça m’arrive de vivre de la détresse, de vouloir appeler quelqu’un mais d’avoir peur de perdre mes ami.e.s si je leur demande trop souvent de l’aide. Ça m’arrive de vouloir un câlin de ma maman mais d’avoir peur de l’inquiéter en lui annonçant que je vais mal. Ça m’arrive de vouloir de l’aide, mais de ne pas savoir du tout quelle aide me satisferait.
Ça m’arrive d’appeler des lignes d’écoute 24/7 à une heure du matin juste pour que quelqu’un sache que je pleure et que je puisse parler sans censure de tout ce qui m’empêche de dormir.
Ça m’arrive de trouver que mes rendez-vous avec mon infirmier, ma psychologue, ma nutritionniste, mon intervenante du centre pour victimes d’agressions sexuelles ou ma psychiatre ne font que brasser de la marde. Ça m’arrive aussi de les trouver fantastiques et d’avoir l’impression qu’ils me donnent les outils pour soulever des montagnes. Ça m’arrive de croire qu’un jour j’irai mieux.
Ça m’arrive de vouloir en parler et de ne pas oser parce que j’ai honte de ne pas prendre ma vie avec un grain de sel. Ça m’arrive d’en parler et de lire le malaise sur les visages et de regretter d’en avoir trop dit ou de les blâmer de me faire sentir encore plus mal. Ça m’arrive d’en parler et de me sentir écoutée, validée, comprise. Ça m’arrive d’en parler et de me sentir brusquée parce que je ne m’attendais pas à recevoir des questions. Ça m’arrive d’en parler et de me sentir soulagée, d’avoir l’impression que juste ça, ça m’aide à aller mieux.
Ça m’arrive d’en parler et que des gens me remercient de le faire parce qu’ils ont vécu des difficultés psychologiques et que ça leur a fait du bien de savoir que quelqu’un d’autre a vécu quelque chose de similaire. À ce moment-là, je me dis que ça valait la peine de mettre mes tripes sur la table, de me vider le dedans mou sur la place publique, si ça aide quelqu’un d’autre.
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