D’abord, faut savoir que je suis pas la plus pauvre du monde dans vie, mais que je le suis assez, genre pour me sentir pilée dessus par le pouvoir que l’argent m’enlève. Fait que je suis capable de bien vivre, mais bien, ça veut aussi dire que ça pourrait être meilleur.
Je suis pauvre depuis maintenant environ 2014. Courte histoire, je suis partie étudier à l’étranger, j’ai déménagé de chez mes parents, je voulais faire ma maîtrise, j’ai redéménagé à Montréal, je trouvais pas de job, j’ai emprunté à mes parents pour payer mon premier loyer, j’ai trouvé une job, j’ai travaillé 35 heures semaine pour les rembourser, en plus de payer mon loyer trop cher, de payer mes sessions de maîtrise, de ne jamais sortir de chez nous, vu que tout coûtait cher pis que mon ex pis moi on connaissait pas encore grand monde. Pis à un moment donné je me suis fait un tapis monétaire, je me suis mise à travailler moins, mais à demander un maximum de prêts et bourses pour pouvoir vivre, en travaillant justement moins, mais en voyant ma dette étudiante augmenter à vue d’œil, en me disant, je vais pouvoir rembourser dans deux ans après les études, mais ne pas finir ses études en deux ans, et payer une autre session, et devenir pauvre, comme ça, sans arrêt, parce qu’étudier coûte cher.
À l’époque, ça allait quand même bien parce qu’on était deux étudiants pauvres. On sortait pas beaucoup, on aimait faire du bricolage et écrire. Je savais que je pouvais garder des sous pour sortir avec les amis, parce que lui c’était moins son truc. Habiter avec l’autre, ou des autres, c’est une bonne façon de faire des économies… On sort-tu? Non, on se colle.
Avoir de la misère à dire non parce que nos amis aiment ça boire du vin, manger dans des restos nices, aller au cinéma ou voir des shows, avoir de la misère parce que nous aussi, on aime ça.
Pis déménager toute seule… un luxe inévitable pour écrire, mais qui nécessite des compromis. Fait que rester chez nous le vendredi soir, à manger « pas des Miss Vickies », c’est cher, mais p’têt des boutes de pain pita « ouben » un sac de chips « no name » du Provigo à 1 piasse et quelques, pis boire une bière cheap « ouben de l’eau », parce c’est free, pis essayer d’avancer tes cours, parce que c’est ça au fond qui faut que tu fasses au plus sacrant, parce que c’est ça qui te rend pauvre…
Ne pas aller dans les microbrasseries.
Pis rencontrer un nouveau mec plus riche que toi, avec qui t’as envie de faire des activités. Te trouver pauvre tout le temps, pis plate de freiner l’autre en étant lourde. Avoir vraiment envie de faire plein de folies, mais devoir attendre. Économiser pour la première fois de sa vie, en fait, se serrer la ceinture, pour vrai dans le fond, parce que maigrir aussi. Pis vouloir être scolarisée, enfin, pour pouvoir se trouver une job à temps plein en attendant de faire de l’argent, pis espérer pas trop aimer ça la sécurité, pour oser aller dans une école d’art comme Pam dans The Office.
Demander au gars qu’on date de respecter le fait qu’on a un gros orgueil pis qu’on veut pas être la fille qui se fait payer des affaires, même si on le sait que c’est pas ça qui veut, avoir l’air du gars qui paye.
Pis aussi des fois, même si on a l’impression d’avoir des dettes envers les gens, accepter de recevoir parce que ça leur fait plaisir pour vrai, de nous gâter.
Faire un petit tas de son orgueil pis piler dessus pour enlever l’air.
Pis quand même se dire qu’on peut être bien sans trop dépenser, pas besoin de linge à la mode, créer son style dans les friperies, voir le monde sans nécessairement boire une bière, faire des activités de jour, se connaître sans artifice, faire de la bouffe en équipe, ne pas aller au resto, écouter des films sur le divan pis moins aller au ciné, acheter une bouteille au lieu de payer trois pintes, prendre des marches pis jaser, faire des dessins, faire un barbecue, aller au parc, aller se baigner, pis se connaître pour ce qu’on est et pas pour ce qu’on a.
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Crédit dessin de couverture par Kaël Mercader, artiste de Québec, qui peint avec le programme Paint. Pour le suivre sur sa page Facebook, c’est ici!