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Au pays des tatoués

Rappel d’événement aujourd’hui par mon téléphone. Tatouage, 12h. Un vendredi d’une semaine ordinaire.

Y’a pas de fête spéciale – de 18 ans, de 30 ans. D’anniversaire de naissance ou de souvenir de disparition. Juste quelque chose qu’il fallait enfin barrer sur une liste de choses – pas d’épicerie, de la vie. Des fois quand tu procrastines trop, que tu ne prends pas assez de moyens pour atteindre tes buts, que tu es trop lent pour faire avancer ce qui devrait aller de l’avant, y’a des signes qui essaient de t’atteindre. Des fois, faut juste qu’ils flashent comme des néons fluo pour que tu les vois.

Premier voyage en Asie, Laos, merveilleux pays. Vieux bus à l’air miteux, usé par le temps pis la route. Tu t’assois dans ce 30 degrés à l’ombre et t’as des rideaux vintage et kitsch qui te collent dans la face. Fleuris, avec un motif : parfait. Le dessin, ma palette. Comme le moment, comme le feeling. Comme LA fois où tu te dis : je pourrais mourir demain, j’aurai vu ça / vécu ça dans ma vie. J’aurai mis les pieds sur ce continent. Décider à ce moment-là qu’un jour j’aurai ce motif fleuri tatoué sur moi, pour se rappeler. De l’ancrage positif, dit-on.

Parce que le temps passe : ma vie, ta vie, la job, les nuits, les projets et les déménagements. Ta bucket list reste au point mort par bouts, sauf quand la vie prend les choses en mains avec des fluorescents.

5 ans après, pas encore de tattoo sur ton toi. Vietnam. Entrée dans un bus qui claque. Tu entres pis les mêmes rideaux flottent, plein soleil.

Quand tu es revenue à Montréal un mois plus tard, tu as pris rendez-vous.

Tsé quand tu fit pas. Les 3-4 personnes qui attendaient étaient tatouées sur 75% de la surface visible de leur corps avec leur linge. Ils avaient des stretchs tellement grands aux oreilles que tu aurais pu prendre une photo du background au travers. T’es clairement pas comme eux; blanche comme neige, la peau vide. Tu te sens tellement wild pis t’es toute énervée de savoir que tu vas faire partie de la team.

Après l’avoir fait, y’a les commentaires, comme quand des futurs parents choisissent des prénoms. Trouve ça beau, laid, particulier, étrange, intéressant. Es-tu certaine ? QUOI, OÙ, POURQUOI ? T’es pas mieux avec du noir et blanc? Le best, c’est plein de couleurs, ça va finir bleu-noir comme un tatouage de marin, t’as déjà vu des tattoos manqués ? Une cousine de l’autre a fait une infection terrible après.

Tu peux avoir des raisons : le sens du dessin, des mots, des couleurs, quelque chose à se souvenir, un coup de tête, un cri du cœur. Who cares, à part toi. Tant que tu sûr de vouloir l’avoir dans la face chaque fois que tu prends ta douche.

(Précisons seulement que 22% des gens qui se font tatouer le regrettent, apparemment)*

Je vais pas avoir de remords. Il y a des millions de choses sur lesquelles on n’a pas le contrôle; la santé, la maladie, les accidents. Le défi diabétique que j’ai chopé implique beaucoup, mais je vais pas m’éterniser. Ceux qui rencontreront des dépendants de l’insuline dans leur vie comprendrons le package deal. Il y aura toujours des aiguilles dans le quotidien, des injections dans la routine ou des changements de tubes de pompe à insuline. Brosser les dents, mettre sa crème de jour, changer le gadget collé sur soi – petit tube style soluté. Ça fait partie de la vie, c’est vraiment pas la mer à boire…sauf que. T’as pas choisi le tube.

J’avais besoin de contrôler quelque chose de merveilleux sur mon corps. J’ai décidé qu’il y aurait ce quelque chose de chroniquement beau, à côté des remèdes médicaux que je n’ai pas choisis. Que des aiguilles dessineraient ce quelque chose de superbe. On a tous des défis – épreuves ou grands drames – et des jours plus tough. Moi, des fois, c’est ça. J’avais besoin que ça fleurisse pour les jours où c’est plus dur.

La tatoueuse a été fantastique. Les tough tatoués sont venus t’encourager et te dire que tu faisais bien ça pour un premier, sur les côtes en plus. Tu as respiré fort, écouté de la musique de fille sage, regardé les vrais essayer de trouver un spot libre sur une jambe pour se faire dessiner le prochain.

Je me suis vue dans le miroir pis j’étais fière de l’avoir fait. Tsé, réaliser un rêve, c’est pas rien. Entre les jours, l’insomnie, les problèmes de bureau, on l’oublie. Des fois, ou souvent. Je me suis sentie tellement rock and roll (welcome au pays des tatoués).

T’en fais pas, maman, j’ai pas eu la piqûre. Je ne vais pas me retrouver avec une manche longue ou un col-roulé tatoué. Ma rébellion va probablement s’arrêter là, ou peut-être avec un mot ou deux écrits à des endroits discrets.

Je vais pas faire de pub du tatouage sur Instagram ; ceux qui sont précieux pour moi le verront. Et chaque fois que je vais changer mon tube, y’aura cette grande fleur pour me rappeler la beauté à côté du médical. On choisit quoi regarder, dans la vie, et y’a des jours où faut voir plein de couleurs.

Par Josiane Regimbal

Source des photos

Source photo de couverture

* Selon une nouvelle de Radio-Canada

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