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Dans une petite maison de banlieue habitaient les Laprise, un couple très amoureux qui eurent un enfant prénommé Félix. Félix avait un trait de caractère très particulier : il semblait toujours intrigué par le monde qui l’entourait. Sa famille le surnommait « bébé sérieux ». Son regard fixait constamment quelque chose. Son objet de prédilection était d’ailleurs la table de la cuisine. Du haut de son petit siège, il observait longuement la surface lisse de la table. Après un moment, il fronçait les sourcils et se tournait vers sa mère. Ne comprenant pas le sens de sa question, sa mère répondait :

  • Tu mangeras avec nous à la table quand tu seras plus grand, mon petit chou.

Dès qu’il sut parler, Félix se mit à interroger. Son premier mot perceptible fut d’ailleurs : « pou’quoi ? » Avant même d’être en mesure de formuler les questions qui l’habitaient, il répondait à tout ce que les adultes disaient par ce fameux « pou’quoi ? »

Âgé d’un an, il ne savait pas marcher, mais il écoutait tout et parlait distinctement et clairement, ce qui faisait la fierté de ses parents.

  • M’man, pou’quoi camion est rouge?
  • P’pa, pou’quoi m’man dodo?

À l’âge de quatre ans, Félix se penchait sur des questions que la majorité des adultes ne se posent plus :

  • Maman, pourquoi le ciel est bleu?
  • Maman, pourquoi tu joues p’us? T’aimes pas jouer?
  • Maman, pourquoi est-ce que tu dis toujours « pressée »? C’est quoi, « pressée »?

Sa mère, exaspérée parfois de ces questions auxquelles un simple « parce que » n’était plus suffisant, avait trouvé la phrase miracle aux questions de la vie dont elle n’avait pas la réponse :

  • Tu sauras tout cela quand tu iras à l’école.

Félix avait donc très hâte d’aller à l’école.

Au début, cela ne lui apporta pas autant de satisfaction qu’il ne l’aurait cru. Madame Audrey le chicanait parce qu’il levait trop souvent la main. Et lorsqu’il posait une question sans lever la main, il était puni et ne pouvait pas aller à la récréation avec les autres.

Félix dit un jour à sa mère qu’il n’aimait pas l’école. La semaine suivante, elle lui offrit un petit cahier de notes :

  • Voilà, mon cœur, chaque fois que tu te poses une question, inscris-la dans ce cahier. Tu n’auras plus besoin d’y penser constamment après, car elle sera bien à l’abri.

Félix grandit et débuta ses études secondaires. Il passa la majeure partie de son adolescence à la bibliothèque pour lire les œuvres décrivant les idéologies de l’univers, des plus grandes au plus saugrenues.

Un samedi matin d’automne, on frappa à la porte. Félix, exceptionnellement debout à cette heure, alla ouvrir.

  • Bonjour jeune homme, qu’allez-vous faire pour éliminer la pauvreté dans le monde?

Félix, qui n’était pas habitué à se faire poser des questions, répondit du tac au tac :

  • Pourquoi venir chez les gens si tôt pour demander cela? Vous ne me semblez pas pauvres vous-mêmes, pour qui travaillez-vous?

Il passa un long moment à écouter ce que les hommes avaient à dire. D’abord trop heureux de pouvoir échanger avec quelqu’un, Félix finit par remettre en perspective ce qu’il entendait. Ce qu’il désirait en fait, c’est comprendre et, pour cela, il lui fallait des réponses! Une heure plus tard, les adeptes quittèrent la maison d’un pas pressé. Ce fut la dernière fois qu’on vit des témoins de Jéhovah frapper chez les Laprise.

Au cégep, Félix eut une révélation : la philosophie. C’était ses cours préférés. Philosophie de l’art, philosophie orientale ; il assistait religieusement aux enseignements de la métaphysique. Quel bonheur de savoir qu’il n’était pas le seul à s’interroger sur la vie. Félix écoutait attentivement ses professeurs sans se lasser. C’était pour lui de la douce musique. Il était bien triste que si peu de gens connaissent les grands penseurs de ce monde.

Il s’inscrit donc en philosophie à l’université, certain qu’Aristote, Socrate, Kant et autres grands penseurs étaient en mesure de lui apporter les réponses qu’il espérait depuis toujours. Leurs thèses occupaient tellement ses pensées qu’il n’en dormait pratiquement plus la nuit. À la fin de son baccalauréat, son père lui demanda :

  • Alors mon grand, as-tu résolu toutes les énigmes qui te tenaillaient?
  • Non, papa, je dois me rendre à l’évidence. Mon bac ne m’a servi qu’à trouver encore plus de questions…

Les années passèrent et Félix cumula un nombre incalculable de petits cahiers. Bientôt les murs de son appartement n’étaient plus que reliures et papiers, les livres côtoyant les résultats de ses recherches. Comme la plupart des gens étudiant les doctrines de ce monde, Félix en vint à enseigner la philosophie. Ses parents furent très fiers d’avoir un professeur dans la famille. Lui était tout simplement heureux de travailler dans une école.

Le jour de ses 50 ans, son père lui rendit visite et lui demanda encore :

  • Alors, Félix, as-tu trouvé la paix parmi les grands principes de ce monde?

Félix prit son air de « bébé sérieux » et répondit :

  • Non, je cherche encore, papa. Mais j’essaie d’enseigner aux jeunes comment se poser les bonnes questions…et surtout de laisser tomber les mauvaises.

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