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Alcool : Apprendre à marcher sans béquilles

C’est au son d’une bouilloire qui siffle que je débute l’écriture de ce texte. Je suis assise à mon bureau devant la fenêtre de ma chambre. Mes chats dorment sur mon lit.  Dans ma théière transparente, je regarde danser les feuilles de thé. Je prends une grande respiration.

Janvier tire à sa fin et je fais le point sur l’état de mes résolutions. Rester à jour dans mes travaux pour l’école. Check. Écrire davantage. Semi-Check. Faire un budget. Ça s’en vient. Ne pas boire. Check.

Oui, check.

J’ai décidé de monter à bord du train Dry January, cette année. Très populaire sur les réseaux sociaux, le Dry January a des adeptes à travers le monde. La plupart saisissent l’occasion pour donner une petite pause à leur foie et garnir leur compte Instagram de photos de tisanes ou de mocktails. C’est un prétexte comme un autre pour renflouer les coffres et se remettre en forme après les excès du temps des fêtes. Et c’est très bien comme ça.

Pour moi, cependant, c’était différent.
(J’en profite pour préciser que ce texte ne se veut en aucun cas moralisateur. Ce n’est rien de plus qu’un témoignage.)

Je sais depuis longtemps que j’ai un problème avec l’alcool. Une relation chaotique qui s’est adoucie dans les deux dernières années, heureusement, mais qui est restée problématique. J’ai été, pendant la majeure partie de ma vingtaine, une alcoolique fonctionnelle. C’est-à-dire que ma consommation, quoique excessive, est toujours demeurée dans les limites de l’acceptable. Aux yeux des autres, du moins. À l’abri des regards, il en a longtemps été tout autrement. Je ne buvais pas tous les jours et je pouvais demeurer sobre durant plusieurs jours sans ressentir de manque. Mais il était impossible pour moi, lorsque j’ouvrais une bière, de ne pas en ouvrir 3 ou 15 par la suite. Dans l’excès, toujours.

Dans le premier texte que j’ai publié ici, l’an dernier, j’aborde ma vie avec le trouble de personnalité limite. L’auto-médicamentation par l’alcool, comme béquille à la dépression ou à l’angoisse, est un symptôme classique du TPL et mène souvent à des comportements dangereux. J’ai froid dans le dos quand je pense au nombre de fois où, saoule à la limite du blackout, je me suis mise dans des situations, parfois gênantes, souvent honteuses, qui auraient pu avoir de graves conséquences. J’ai mis ma vie en danger. J’ai blessé des gens que j’aimais et qui tenaient à moi.  Il y a plusieurs moments que j’aimerais oublier. D’autres dont j’aimerais me souvenir. Il m’arrive encore de ruminer sur mon passé. D’en avoir peur au point de la crise de panique. La perte de contrôle, et par extension, de mémoire, qu’engendre un épisode de blackout, est terrifiante. Ne pas me souvenir de choses que j’ai faites ou dites est une torture pour moi. J’angoisse, parfois, en ayant la quasi-certitude l’impression que mes agissements du passé vont revenir tacher mon présent. J’ai du mal à faire la paix avec la personne que j’ai pu être à mon insu. C’est un poids à porter, dont j’essaie tant bien que mal de me délester. Laisser le passé là où il est, et être reconnaissante d’être encore en un morceau.

Lorsque j’ai commencé à être médicamentée adéquatement, mon état s’est stabilisé. Je prenais déjà des médicaments depuis mes 17 ans, mais comme mon diagnostic n’était pas encore officiel, ce n’est qu’après plusieurs essais et erreurs que mon psychiatre et moi avons trouvé le bon traitement pour moi. C’était il y a un peu plus de 3 ans. Ce n’était pas magique. J’abusais encore. Au moins trois fois par semaines, je me couchais la tête qui tourne. Pas saoule à en oublier mon nom, mais assez pour feeler croche solide le lendemain. Dans la même période, aussi, j’ai commencé à abuser des anxiolytiques (un sevrage a été effectué avec succès pour ce problème, heureusement). Beau mélange. Jusqu’à très, très récemment, ces quelques soirs par semaine à boire seule dans ma chambre en écrivant ou en écoutant de la musique m’étaient nécessaire, sans que j’ose ne me l’avouer. J’étais encore dans un pattern sournois d’auto-médicamentation. Un alcoolisme modéré, structuré, mais un alcoolisme quand même. Une belle grosse béquille que je m’efforçais de rendre inoffensive à grands coups de « c’est pour relaxer », « mon but, c’est pas de me saouler » ou « je ne bois plus tous les jours comme avant. »

Comme avec la cigarette (mais ça, c’est une autre histoire), je me disais que je pouvais arrêter quand je voulais sans que ça change quoi que ce soit à ma vie. C’était évidemment faux. Ce que j’ignorais, c’est que les changements qui surviennent dans ma vie depuis quelques semaines ne sont que positifs. Oui, pendant les deux premières semaines, j’ai eu des vertiges et des maux de tête incroyables, de nausées et de l’insomnie. Puis plus rien.

Je crois important de préciser aussi que je ne me suis pas juré de ne plus jamais boire. J’ai commencé par le Dry January pour voir comment j’allais vivre sans béquille. Je sais que je m’autoriserai éventuellement à consommer de l’alcool à nouveau, mais pas avant avoir pu aller au bout du dialogue que j’ai entamé avec moi-même il y a un mois.

Parce que ce dialogue est d’une richesse incroyable. À 28 ans, je découvre le charme possible et éclatant d’une vie où la dépendance ne prend pas toute la place. Où je suis plus forte que le contenu d’une bouteille ou d’un pot de pilule. J’apprends à faire face à mon angoisse la tête claire. Ce n’est pas sans difficulté, mais c’est mille fois plus efficace. Parce que s’engourdir ne règle rien.

Plus jeune, il m’est même déjà arrivé de romancer l’abus d’alcool. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de marginal, presque grandiose, dans l’abus de substances. J’étais naïve.  Les artistes que j’aimais, musiciens ou écrivains, semblaient tous rongés par le même insecte. J’ai même déjà pensé que j’écrivais mieux saoule. Mais il n’y a rien de beau ou de romantique dans l’abus d’alcool. Rien de marginal non plus. Glorifier l’alcoolisme, c’est refuser d’admettre qu’on a trop peur de s’affronter soi-même sans téter un biberon. J’ai une petite pensée pour Tom Waits, dandy fumeur et buveur par excellence, sobre depuis 15 ans. Lorsqu’on lui demande, dans cette entrevue, s’il considère que la sobriété a affecté sa créativité de manière négative, il répond que « non, je ne pense pas. À force de créer sous influence, on en vient à se demander si c’est l’alcool qui parle. La peur des gens qui boivent est de découvrir que l’alcool parlait à leur place depuis le début. (…) [i]»
J’ai aussi remarqué que mon cercle social est en train de changer. Des gens s’éloignent de moi et je m’éloigne de certaines personnes. Il y a des amitiés qui ont l’alcool comme carburant. Des ami.es avec qui on boit, on sort, on rit, on parle de nos anciennes brosses, on re-boit, on re-sort. Mais quand ce carburant vient à manquer, il ne reste parfois plus rien à dire. Je ne suis pas fâchée. Je ne suis pas triste. Ces changements sont inévitables. Je n’ai pas beaucoup d’ami.es proches, mais celles et ceux que je considère comme tel.les sont extrêmement précieu.ses pour moi. Mes amitiés sont authentiques, humbles, douces et respectueuses. À l’image de la personne que je veux être pour les autres. J’entretiens maintenant avec bonheur des relations solides qui sont basées sur le support, l’humour, la création, et où l’alcool n’est pas constamment l’éléphant obligatoire au centre de la pièce.

C’est une libération.

La prochaine bière que j’ouvrirai, j’ignore quand, sera bue lentement, sans la frénétique recherche d’ébriété qui m’a longtemps animée. Mon dialogue intérieur se poursuivra.

Je veux tout ressentir. Que ça fasse mal ou non. Je veux être libre et créer, sans entrave. Grand défi, oui. Grande aventure.

Cheers!

[i] Traduction bin bin freestyle

Source de la couverture

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