Salut trou de cul,
J’ai longtemps pensé au petit nom que j’allais te donner. Tu seras d’avis que « mon poussin » n’est pas vraiment de circonstances. Est-ce que tu te souviens de moi? Une grande brune? De mon côté, je ne sais pas grand-chose de toi : ni ton nom, ni ton apparence, ni ce que tu fais dans la vie. Je sais, par contre, que tu es un lâche et que nos routes se sont croisées le 20 décembre 2013, dans un bar du boulevard Laurier. Habituellement, j’ai une mémoire de marde pour les dates, mais pour celle-là, tu peux me faire confiance.
Je ne veux pas tant m’attarder à la soirée, tu y étais. Probablement accoudé au bar, en train de chercher une fille pour avoir du fun. J’y étais aussi, avec une amie, en train de regarder le monde danser et de trinquer à l’arrivée des vacances. Tu m’as sûrement vue sortir comme une flèche. Peut-être as-tu pensé que j’allais profiter des 45 sortes de parfum gratis dans les toilettes? Mais non. À ce moment précis, j’ai la tête qui tourne et je ne pense qu’à une chose : passer au vestiaire et sortir prendre l’air.
Une fois à l’extérieur mon cœur bat vite, trop vite. Je panique. Je vomis. Je sens que mon corps déraille, que ce n’est pas normal. Puis, je tombe par terre comme si une balle perdue venait de m’atteindre. J’entends la voix de mon amie, mais je suis incapable de lui répondre. J’ai l’impression d’être spectatrice de mon malheur. Puis, plus rien.
Lorsque je reprends connaissance, je ne sais pas combien de temps s’est écoulé. Je sens des mains sur mon corps. J’ai froid. Je grelotte. On me maintient en place. Une équipe médicale s’affaire autour de moi. Puis, je replonge. Quelques minutes, quelques heures, je n’en sais rien.
Mon réveil est difficile. Je suis à l’urgence, dans la salle de réanimation. Mon corps est emballé dans une couverture d’aluminium et un tuyau génère de l’air chaud sous les draps. Je ne porte plus mes vêtements et je réalise qu’on m’a mis une jaquette sans que je m’en aperçoive. Je suis branchée à des appareils qui me sont inconnus. On vient me parler. Mon état est stable. Mon amie arrive, soulagée. Bizarrement, mon premier réflexe a été de m’excuser auprès de l’infirmière, honteuse d’avoir utilisé l’urgence pour dégriser. Puis, elle m’explique que ma présence n’a rien à voir avec ma consommation d’alcool, que j’étais en hypothermie, que la température de mon corps est descendue à 33 degrés et qu’ils ont manqué me perdre.
Holy shit de marde, j’ai failli finir comme la petite fille aux allumettes.
Ça, trou de cul, c’est la partie que tu ne connais pas. Mais, ce n’est pas fini. Je suis repartie chez moi, en taxi, habillée des vêtements trop petits que m’a gentiment offerts l’hôpital, mon linge de la veille imbibé de vomi et de neige dans un sac de plastique. Je ne sais pas si tu le sais, mais quand ton corps a froid, il grelotte comme un malade pour maintenir sa température, pis ça, ce shakage extrême là, ça fait mal en criss les jours qui suivent.
Donc, je suis retournée à la maison, penaude et convaincue, malgré l’explication de l’infirmière, d’avoir mis ma vie en danger sans raison aucune que de faire la fête. Puis, grâce à la version de mon amie, les pièces du puzzle se sont tranquillement assemblées. Après ma chute, un jeune homme – Batman assurément – a soulevé ma charpente de six pieds pour m’emmener à l’abri du vent et me réchauffer jusqu’à l’arrivée des ambulanciers. Elle m’a raconté que les deux gars weirds des Éboulements qui étaient venus nous parler en début de soirée insistaient pour qu’on se rende à leur hôtel. Que je suis revenue avec une bière alors que j’ai pour principe de ne jamais accepter d’alcool des inconnus. Que visiblement, je n’ai pas payé pour ma consommation puisqu’aucune transaction n’a été inscrite sur mes relevés bancaires et que le 12 $ que j’avais gardé pour le taxi était toujours dans mon portefeuille. Je n’ai rien de Sherlock Holmes, mais c’est louche, surtout que l’hypothermie, ça fait partie des effets secondaires du GHB. Tu me diras sûrement que j’avais trop bu et je te répondrai que oui, j’avais bu, mais pas trop et que ce soir-là, j’ai consommé la même quantité d’alcool que mon amie, plus petite et plus légère.
Je ne saurai jamais la vérité, mais ma petite voix me dit que tu y es pour quelque chose. Que même si je tenais mon verre, tu en as profité pour y glisser du poison. En terminant, je veux que tu saches que je te méprise. Qu’aucune excuse ne pourra justifier que tu utilises de la drogue pour abuser des autres. Qu’aucune excuse ne pourra justifier le fait tu m’as dépossédé de mon corps l’instant d’une soirée, que j’ai manqué y laisser ma peau pour ton plaisir.
Bien sincèrement,
Fuck you, trou de cul. Fuck you.
Par Josianne Vignola (POP-UP)