C’est une fin de journée pluvieuse, triste. Je suis seule chez moi avec la sensation d’avoir une boule de quilles pognée en travers de la gorge. Je jette un coup d’œil à mes boîtes de déménagement encore bien tapées. Mon appartement est en désordre. Je suis découragée et je n’ai pas la force d’attaquer ma nouvelle vie toute seule. Pas ce soir, en tous cas.
Facebook me dit que t’es en ligne. Ce petit point vert à côté de ton nom dans Messenger, c’est rassurant.
– Salut ma chum. J’suis découragée. Pis faut que j’aille m’acheter des meubles.
– J’arriveeeeeee!!
Ce soir-là, tu m’as traînée dans les magasins. On a rempli nos voitures de meubles en kit et de gugus cheap du Dollarama qui « feraient beau » dans mon nouvel appart.
Tu m’as aidée à faire mon nid, une vis après l’autre, durant une fin de semaine entière. Quand tu es partie le dimanche soir, j’avais un appartement meublé, fonctionnel et décoré à mon image. Grâce à toi.
Ce geste de générosité de ta part, c’est un exemple parmi tant d’autres. J’ai compris, depuis longtemps déjà, que ton cœur est un puits sans fond. Que t’es toujours là quand tes amies s’effondrent. Et moi, j’ai la chance d’être l’une d’entre elles.
Mais comment fais-tu, pour dégager autant de bonté dans ce monde qui est pour toi un champ de bataille constant?
Je t’ai toujours vu faire de ton mieux pour dealer avec le chaos dans ta tête et le regard hostile des autres. Avec l’anxiété envahissante et ce diagnostic qui t’es tombé dessus comme une bombe atomique. Trouble de personnalité limite, qu’ils t’ont dit à l’hôpital.
Et depuis ce jour, tu vis avec cette étiquette….et le char de jugements qui vient avec.
Intense, folle, hystérique….lesquels n’as-tu pas entendus?
On te critique à tort et à travers.
On te voudrait moins imposante, moins bavarde, moins présente.
Plus effacée, plus filtrée, plus posée.
Ma chérie, tu le sais, on a ben de la misère avec les femmes qui prennent de la place, qui parlent fort, qui s’affirment et s’affichent telles qu’elles sont. Plus elles « s’effoirent », mieux on les tolère.
Alors on te reproche d’être trop. Tout le temps.
Et si c’était nous, qui n’étions pas assez?
Quand tu arrives quelque part, tu déranges. T’es comme une licorne rose qui débarque dans un champ de moutons gris. Tu bouscules le troupeau de bêtes dociles, mornes et assimilées que nous sommes.
C’est ben difficile de ne pas te remarquer quand tu surgis, avec ton arc-en-ciel de personnalité et tes gros sabots multicolores dans notre sombre pâturage.
Tu traînes avec toi une lumière éblouissante. Elle nous éclabousse, révélant ainsi des aspects de notre personnalité que l’on préférerait garder cachés. Ton authenticité est déroutante, car elle nous confronte à nos propres complexes, à notre confortable hypocrisie.
Je voudrais que les autres prennent le temps de te connaître, comme je te connais. Je voudrais qu’ils passent là où tu as passé, là où tu as souffert, pour qu’ils comprennent ce que c’est que de vivre avec tes monstres. Je voudrais qu’ils sachent ce que ça fait de se battre avec l’anxiété à longueur de journée et de nuit. Je voudrais qu’ils soient assez empathiques pour t’écouter, sans juger.
Mais je voudrais surtout qu’ils voient que t’es une bouffée de fraîcheur en pleine canicule.
Que t’es un feu d’artifice dans un ciel de pluie.
Que t’es intense, oui, mais intensément belle.
Une fois, je suis tombée sur cette citation de Jiddu Krishnamurti : « Ce n’est pas un signe de bonne santé mentale que d’être bien adapté à une société malade ».
N’est-ce pas criant de vérité?
Alors, mon amie, continue d’être toi-même : percutante et vraie.
Promets-moi que tu refuseras toujours de t’effacer devant quiconque.
Sois fière de ne pas « fitter » dans le moule. Anyways, les licornes ne sont pas faites pour vivre entourées de clôtures.
Et surtout, quand c’est toi qui s’effondres, rappelle-toi que tes vrais amis seront toujours là pour t’aider à te reconstruire, une vis après l’autre.
Par Sarah B. Delisle
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