Ça fait à peu près deux ou trois ans que ma grand-mère me lance des phrases comme : « C’est probablement la dernière fois que j’vous fais des coquilles St-Jacques, faudrait que j’te montre comment faire avant de partir! » et des « Bon, un Noël de plus de passé et c’est peut-être mon dernier » ainsi que « Vous allez être bien quand je s’rai pu là, vous vous dérangerez pu pour moi ».
Elle me dit ça comme si on se parlait de c’est quand le jour des poubelles dans mon coin.
Elle me dit ça et j’y crois pas, qu’un jour elle sera pu là, pour vrai de vrai.
Elle me dit ça sur un ton désinvolte, mais les paroles me coupent au couteau.
Elle me dit ça et plus j’y pense, plus j’ai peur; j’ai peur du vide qu’elle va laisser en partant. Un vide si grand que j’imagine pas la douleur qui va venir avec. J’ai peur que le tapis roulant d’la vie accélère et que tous mes proches que j’aime tant ne soient plus là. J’ai peur d’être seule, de me sentir seule.
Quand j’lui demande de pas dire ça, elle me répond que c’est vrai qu’un jour elle va mourir. Et je sais qu’elle a raison. Je suis pas si boquée que ça, mais je veux pas que ça arrive. Je veux pas que mon monde s’écroule, je veux pas que ma grand-mère, ma mère et mes proches vivent de la souffrance, et qu’à leur départ, ce soit moi qui vive sans leur appui, leurs conseils, leur présence réconfortante.
Me semble que je vis bien mieux en sachant, justement, que si j’me plante ou me questionne sur une situation, ma grand-mère et ma mère seront là pour me sécuriser. Ce serait comme perdre une assurance, une confiance en moi qu’elles m’ont toujours partagée. Une partie d’elles en moi et une partie de moi en elles. Comment ne pas avoir peur de les perdre?
Et puis, je sais, cher lecteur de la , que je suis certainement parmi les plus chanceuses d’avoir encore ma famille et mes proches; de n’avoir vécu aucun deuil à date. Peut-être que ce sera plus facile à comprendre quand je serai passée par là, comme toi, mais j’ose pas penser qu’on s’en remet. J’ai déjà tellement de peine quand un ami, un collègue et même mes patients me parlent de leur deuil, que j’imagine pas le coup de pelle en pleine poire que je vais prendre quand ce sera moi.
Aussi, ça me rend anxieuse, je fais des scénarios, j’appréhende, parce que j’ai aucun contrôle. Le seul contrôle que je peux avoir pour me rassurer est de profiter le plus possible de leur présence. En les téléphonant, en leur rendant visite, en leur préparant un plat de bouilli aux légumes, en leur montrant mon amour pour eux.
J’ai accompagné des patients dans leur deuil et j’ai normalisé leur situation, je les ai référés à des organismes pour le deuil, j’ai répété que la personne qui a fait partie de leur vie demeure avec eux, et cetera, et cetera, et cetera. Mais, j’suis zéro capable de l’appliquer à moi, j’me sens comme si je marchais sur un pont en sachant qu’il va lâcher et que je vais tomber dans le vide entre deux falaises en sachant que ce pont représente mes proches qui me permettent de traverser les épreuves.
J’ai l’impression, en plus, dans mes histoires intérieures, que quand ça va commencer, ça va débouler rapidement. Plus je vieillis et plus c’est inévitable. Le sablier coule toujours plus vite quand il reste moins de sable.
Alors je suis de tout cœur avec toi, qui passes un premier, deuxième, dixième temps des fêtes sans un grand-parent, sans un parent, sans un enfant, sans un ami, sans un amoureux, sans une personne qui t’est chère. Je dis pas « qui t’était chère » parce que même s’il y a beaucoup de souvenirs avec cette personne, ton amour pour elle est là encore et pour toujours.
Je t’envoie beaucoup d’amour et de courage pour passer ces fêtes sans la présence physique de ton proche qui te manque. Je sais tout de même qu’il est là, avec toi.
Source
Je te souhaite d’être capable de parler, penser à ton proche malgré son silence en réponse.
Je te souhaite d’évoquer son souvenir chaleureusement et avec tendresse.
Je te souhaite d’avoir fait la paix avec son départ.
Prends bien soin de toi, cher Crépu, et joyeux temps des fêtes.