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C’est une journée assez froide aujourd’hui. Même si mes maîtres m’ont emmitouflé dans ma couverture favorite pour la nuit, il fait froid. Je me réveille et à ma surprise, ils sont déjà réveillés, à me regarder. Des larmes coulent sur leurs joues. Je ne comprends pas trop, il n’y a rien de triste maman, je ne faisais que dormir. Je me hisse sur mes pattes pour aller la consoler, mais mon corps en entier me fait mal. Mes vieux os. Je réussis, tant bien que mal, à me lever et aller déposer ma tête sur ses jambes pour la consoler. Toutefois, son chagrin ne fait que prendre de l’ampleur. Papa se joint à elle et ils me collent fort contre eux. J’aimerais pouvoir les lécher partout pour leur dire que ça va bien aller, mais je me sens tellement faible aujourd’hui.
Je ne sais pas trop pourquoi ils sont aussi tristes, mais je vais être là pour eux.
J’entends papa dire à maman :
« Il a eu une belle vie de chien.
16 belles années à grandir auprès de nous. »
C’est vrai que j’ai eu une belle vie. J’étais toujours aux aguets lorsqu’un morceau de nourriture tombait au sol. Toujours prêt à aller marcher, courir, nager, faire la sieste avec mes maîtres. Lorsqu’ils quittaient la maison, le temps était long sans eux, mais comme je voulais qu’ils soient contents de me voir à leur arrivée, je restais tranquillement à la fenêtre à les attendre. On en a fait des choses ensembles, des voyages, des promenades, des road trips chez grand-papa.
Je retourne tant bien que mal sur mon coussin, et papa me couvre à nouveau de ma couverture préférée. Cette fois-ci, il m’enroule à l’intérieur et me prend dans ses bras. Où on s’en va comme ça? Je voie maman qui se dirige dehors, avec son manteau sur le dos. Elle continue de pleurer. Ne t’en fait pas maman, je suis là. Papa m’installe dans la voiture, sur le banc arrière, et maman s’assoie avec moi. Elle me caresse tout le long de la promenade. J’ai un petit regain d’énergie, et je suis capable de me tenir sur mes pattes. J’ai mal partout, mais je veux que mes maîtres soient fiers de moi. On s’en va marcher probablement, donc je dois leur montrer que je suis fort. Lorsqu’il est temps de sortir de la voiture, je reconnais immédiatement une odeur qui m’est familière, et qui ne me plait pas du tout : le vétérinaire!
Papa et maman couvrent leurs visages de leurs masques qu’ils portent à l’occasion ces jours-ci. On entre tous les 3 chez le vétérinaire. J’ai plus froid que jamais. Je sens mon corps grelotter. Maman reste avec moi sur le banc à me coller contre elle. Je sens ses larmes couler sur ma fourrure.
Papa revient nous voir, et attache une laisse à mon collier. J’entends une dame dire :
« Voulez-vous garder son collier? »
Papa dit maladroitement quelque chose à la dame, puis elle lui tend un nouveau collier. Je ne comprends pas ce qu’il lui dit, mais je sens qu’il grelotte lui aussi. Papa enlève mon collier pour m’en mettre un nouveau, dont je ne reconnais pas l’odeur. Maman me serre encore plus, puis se met à sangloter si fort que papa vient la consoler. Papa me regarde dans les yeux, en me disant :
« Tu es un bon chien. Tu vas nous manquer énormément. Tu vas pouvoir jouer de la balle autant que tu voudras à présent. Bon voyage! Je t’aime. »
Quoi? Je pars en voyage sans vous? Je ne comprends pas trop, mais la dame prend ma laisse, et mes maîtres me regardent quitter la pièce avec elle. J’ai terriblement froid. Je grelotte de plus belle. La dame est douce et patiente. Elle me flatte et me répète que ça va bien aller. Elle me place dans ces grandes cages beiges et froides, enlève ma laisse, m’offre un bol d’eau, et quitte la pièce. Je ne comprends pas du tout ce qui se passe. Je reste ainsi un moment. Je n’ai pas compté les minutes, mais ça m’a paru une éternité. Je m’ennuie déjà beaucoup trop de mes maîtres. Pourquoi est-ce que je pars en voyage sans eux à mes côtés ?
La dame réapparait. Elle est calme et me dit des mots doux, ça me permet de grelotter un peu moins. Elle me met la laisse et je la suis tant bien que mal jusque dans une pièce encore plus froide que la dernière. Elle s’agenouille à côté de moi et me caresse, pendant qu’une autre dame entre dans la pièce. Il fait si froid. Où sont mes maîtres? La seconde dame me parle aussi d’une voix rassurante, mais je voie soudainement sa main avec une aiguille. Pas encore ces piqûres tannantes. J’ai peur, j’ai froid, j’ai un mélange d’émotions en même temps. La première dame tient ma laisse fort pour ne pas que je bouge trop, tandis que la seconde dame m’injecte un liquide avec la piqûre. Je me sens soudainement très fatigué. Où sont mes maîtres? Que m’arrive-t-il? La première dame me flatte pendant que je sens la fatigue prendre le dessus sur mon corps. Pourquoi mes maîtres ne sont pas avec moi en ce moment? J’ai été là pour eux à tous les jours de ma vie, à vouloir leur donner le meilleur de moi-même. Et lorsque je suis au pire de ma forme, ils m’abandonnent chez le vétérinaire, parce qu’ils ne veulent pas « m’assister », parce qu’ils ont dit qu’ils n’ont pas la force de me regarder « partir ». Mais moi, j’ai eu la force d’être là pour eux dans les bons, comme les moins bons moments. Je serais resté à leurs côtés jusqu’à leurs morts. Pourquoi ne sont-ils pas restés à mes côtés jusqu’à MA mort? Je cligne des yeux une dernière fois, en espérant de tout mon cœur de les voir apparaître. Ils vont tellement me manquer. Au revoir, mes maîtres. Pour vous, j’aurai été une partie de votre vie, mais pour moi, vous aurez été toute ma vie.