J’ai toujours su que notre société avait un problème. Maintenant plus que jamais, j’en constate la dangereuse ampleur. J’ai la « chance » d’être une femme blanche et canadienne, dans un corps standard. Je ne vais pas prétendre vivre l’oppression pour me sentir importante. La seule chose à faire est de prendre conscience de mon privilège et de faire de mon mieux pour rendre le monde meilleur pour ceux qui vivent pire que moi.
J’ai donc le cerveau qui roule à toute vitesse en permanence et qui identifie, partout, les défauts de notre société. Je décide chaque jour ce que j’accepte, ce que je dénonce, ce que je laisse passer et ou ce que j’achète. Parce que ton argent, en passant, c’est une tape dans le dos pour une entreprise. Qui veux-tu encourager? Le commerce équitable ou les multinationales?
Quand je me promène au centre commercial, je remarque tous les vêtements fabriqués au Bangladesh qu’on vend à 7,99$. Je pense à ceux qui les ont fabriqués et aux conditions de travail de la main-d’oeuvre. Je respire mal en pensant aux manufactures mal aérées qui sont leur seule perspective d’avenir. Je passe devant la lingerie et je remarque qu’on manque énormément de diversité corporelle. Les tailles offertes ne sont pas inclusives pour celles qui vivent dans un corps plus gros. Les mannequins, trop souvent blanc.hes et minces, ne sont pas le reflet de notre société. Les compagnies sont grossophobes. Je pense aux adolescent.es qui développeront une mauvaise estime d’eux.elles-mêmes, parce que faire du profit est plus important que la santé mentale aux yeux de ceux.celles qui tirent les ficelles. Notre monde va mal et ça me lève le coeur.
J’entends une blague raciste dans un souper. Je ne veux pas détruire l’ambiance, mais je sais que ce n’est pas le silence qui changera les choses. Je me sens coupable de laisser passer cette farce (pas drôle du tout) alors que d’autres meurent aux mains d’hommes blancs racistes sur un trip d’autorité. Je manque peut-être de courage. Ma vie n’est pas en danger, j’ai juste peur de me faire dire que je suis trop « extrême ». Parfois, je suis fatiguée d’essayer de susciter une prise de conscience chez les Karen de ce monde.
Et malheureusement, la réalité est que le racisme, la non-sensibilisation à la cause autochtone, l’homophobie, la transphobie, la grossophobie et toutes les formes d’oppression sont réelles et sont partout. Parfois subtiles, parfois flagrantes, mais toujours présentes.
« Ce n’est pas un régime, je fais juste manger moins pour perdre tant de livres », « Les policiers ne peuvent pas savoir si la personne n’est pas armée simplement parce qu’elle dit ne pas l’être », « Il.elle doit choisir, être les deux ça ne se peut pas. C’est une invention pour se sentir différent », « Pourquoi encourager les commerces des gens noirs ici? Je les encouragerai en Afrique. Au Québec, j’achète québécois. »
J’ai entendu toutes ces phrases. Je crierais des réponses haut et fort pour chacune d’entre elles. Et pourtant, j’ai moi-même sûrement déjà eu des propos racistes. On me l’a dit, j’ai appris et j’ai changé. Je sais qu’en dénonçant, j’aurai peut-être le même effet sur quelqu’un. Je peux être cette personne de bonne influence.
Mais la vérité, c’est que se battre en permanence pour une société juste dans un monde malade, c’est épuisant. Très épuisant. Je suis vegan, j’achète seconde main autant que possible, je respecte tout le monde, mais parfois, je n’ai pas l’énergie de convaincre les autres de faire pareil. La sensibilisation est le résultat d’un long processus influencé par l’éducation, le milieu de vie, les relations, l’âge, etc. Ce n’est pas mon devoir de défendre et d’éduquer chaque personne qui croise mon chemin.
Ne te détruis pas en tentant de sauver le monde. Ta santé mentale aussi est importante. Ne pas rire, ne pas alimenter la conversation peut aussi être un acte de rébellion. Répondre que tu ne partages pas l’opinion peut parfois être suffisant. Si tu sens que ton interlocuteur est réceptif, lâche-toi lousse, parle et dénonce, mais sinon, une absence de réponse ne fait pas de toi quelqu’un de lâche. Ça fait de toi quelqu’un qui a des boundaries et une santé mentale à préserver.
Avis à tous.tes : notre silence ne signifie pas une approbation. Il signifie que les soldats forts que nous sommes choisissent de se reposer pour mieux combattre plus tard.
On va se battre pour un monde meilleur, égalitaire, respectueux et ouvert. Mais aujourd’hui, on va se reposer et réaliser qu’à petite échelle, on doit prendre soin de nous.
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