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J’ai attendu vingt minutes – Par Noémie

Il est quatre heures du matin. Je suis couchée sur un immense pouffe noir sur le bord d’un feu à Beaupré au Mont-Sainte-Anne, pas de souliers, les bas sales et les cheveux mêlés à me faire conter une histoire par un certain Rayan aux basses inhibitions. J’ai bu deux verres de Rhum&Coke, un peu de Vodka pis peut-être le quart d’une bière, et de l’eau et du jus, mais ça compte pas parce que ça rend pas saoul. Et là, j’ai envie de pisser.

C’fait que fuck toute, je me lève, je me spotte du gazon frais et dispo, j’abandonne l’ami Rayan et je marche jusque là. Arrive à mon lopin de terre que je m’accroupis et fait exactement tout ce qui est sensé venir ensuite, sauf faire pipi.

Et là, je vois l’ami Rayan qui se ramène. Je me relève, rajuste ma jupe, pense un beau gros « TABARNACK » et pars à la course, vers la chambre d’hôtel, loin de ce Rayan.

Parce que oui, j’avais une chambre d’hôtel au Mont-Sainte-Anne. En fait, Hubert, qui donnait un show ce soir-là (ce qui explique aussi ma présence dans un lieu qui se situe à 35 minutes de chez moi) avait une chambre d’hôtel au Mont-Sainte-Anne et la partageait avec moi. Une chambre d’hôtel avec une toilette. Pis du papier. Pis un lavabo. Et du savon. Et pas de Rayan dégueu débile. Et je cours vers là. Mais j’ai pas de souliers et y’a de la foutue gravelle partout.

Rendue au niveau du bar, Hubert m’intercepte.

–       « Qu’est-ce que tu fais? »

–       « Faut que j’aille aux toilettes je suis plus capable de me retenir, c’est trop urgent. »

–       « Je viens avec toi. J’ai vraiment mal au ventre, j’ai sûrement faim, pis faut que j’ailles me coucher. »

Et là je pense qu’il est saoul. Il l’est jamais. Et là oui, mais c’est tellement pas grave.

Ça fait qu’on marche ensemble vers la chambre. Arrivés là que je comprenne qu’il a mal pour vrai et que c’est pas juste l’alcool. Alors je lui fais couler un bain d’eau très chaude, lui passe une débarbouillette d’eau froide dans le visage et lui prépare au spaghetti au beurre. J’ouvre la télévision, parce qu’il aime tellement ça la télévision, même s’il la voit pas, juste l’entendre, ça le rend content. Et je vérifie toutes les cinq minutes qu’il va bien.

Je me sens très mère Thérésa et j’aime ça.

Hubert sort du bain, se couche sur le divan, écoute la télévision, me demande de changer de poste, a mal, me dit que ça va passer, a mal, me demande de lui préparer une compresse d’eau chaude, a mal, se couche dans le lit. Je m’allonge à côté de lui. M’endors un peu. Je me réveille au bout de 3 minutes.

Parce qu’Hubert hurle.

–       «  J’ai mal, ça fait tellement mal, je sais pas quoi faire, ça arrête pu, faut que tu appelles l’ambulance, j’ai trop mal. »

Alors j’appelle le 911 qui me met en contact avec les ambulanciers. Ils le touchent à plein de places, lui posent cent questions au moins, l’attachent sur une civière. Il se tord de douleur et au travers de ses cris, il me demande de venir avec lui.

J’embarque dans l’ambulance. On se rend à l’hôpital le plus proche, à Beaupré. Les ambulanciers le débarque et il crie encore plus fort qu’à l’hôtel. Ils l’emmènent plus loin, me demandent d’attendre dans la salle d’attente, pointent une horloge cheap et disent de revenir dans vingt minutes.

Les vingt minutes les plus longues de ma vie. Les plus atroces, les plus lourdes, les plus étouffantes que j’ai jamais vécu. Je suis assise dans une salle d’attente vide, beaucoup trop éclairée pour les cinq heures du matin qu’il est. Dans un meuble de bois laid, il y a une télévision à laquelle on a enlevé les boutons pour que personne puisse changer de poste, pour que personne baisse le son, pour que personne puisse entendre autre chose que Marie qui dit que le slimfit a changé sa vie, pour que personne puisse entendre Hubert hurler à l’autre bout du couloir. Une minute, paraissait comme vingt, et vingt paraissaient comme un milliard. Je me suis mordu l’intérieur des joues jusqu’au sang, rongé les ongles jusqu’à trop loin, tapé des pieds à en avoir mal aux talons. J’ai pleuré un peu. Appeler ma mère.

Cinq minutes avaient passé.

Je me lève, je marche, je me rassis, je me relève, je lis tous les avertissements, je me rassis, je me relève, je marche, j’essaye de voir au bout du couloir, je vois rien, je marche, je me rassis, je pense aux lions qui font ça dans leur cage, j’atchoum, j’ai un sentiment de pitié pour eux, je pense aux tigres aussi, je me lève, je me rassis, je me relève, je me rassis, je me relève.

Et un monsieur est arrivé.

Je suis allé voir Hubert.

Il était sous calmants.

On devait le transférer.

Il devait se faire opérer.

À l’Enfant-Jésus.

Je lui ai raconté une histoire.

J’ai passé une main dans ses cheveux.

Je lui ai dit que je l’aimais.

De tout mon cœur.

Vraiment.

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