Sommaire
Pour faire suite à mon billet de découvertes littéraires féminines de l’année dernière, qui portait entre autres sur les talentueuses Julie Delporte (qui a récidivé en 2018 avec la BD Moi aussi je voulais l’emporter, une ode féministe aux artistes), Daphné B. (qui publiait Delete, un recueil poétique et essayistique sur l’amour et la création) et Maude Veilleux (qui signait un doublé en publiant les puissants roman Prague et le recueil de poésie Last call les murènes).
J’ai eu envie de vous présenter de nouvelles autrices, que j’ai découvertes cette année, mais qui en étaient, pour la plupart, déjà à de nombreuses publications. Shame on me de les avoir lues si tard, alors arrêtons de perdre notre temps et passons aux présentations.
Sarah Berthiaume
J’ai découvert Sarah Berthiaume avec ses Villes mortes, une pièce qui se lit facilement et qui porte tour à tour sur des villes habitées par le personnage attendrissant d’une fille sans filtre. Des histoires intimes, souvent intenses, illustrées par des différents dessinateurs, dont Pony. C’est le ton qui happe en premier chez Berthiaume, le même humour insolent et frondeur qui se retrouve dans sa pièce Yukonstyle, qui retrace le voyage en greyhound d’une fille qui fuit le Québec. Le même réalisme magique aussi, qui apparaît dans les visions d’un alcoolique de Whitehorse en plein delirium tremens ou dans les ruelles sablonneuses qui mènent au repère d’une sorcière de Kandahar. La dramaturge très cosmopolite, publiait aussi récemment la pièce Antioche, de laquelle apparaît une Antigone de plus de 2500 ans qui veut présenter sa pièce tragique dans une école secondaire. La pièce sera d’ailleurs présentée au Théâtre Denise-Pelletier à l’automne 2018. Sa pièce Nyotaimori, qui questionne l’asservissement dans notre travail pour pouvoir consommer toujours plus, mettait en vedette Christine Beaulieu et Macha Limonchik au Théâtre d’Aujourd’hui ce mois-ci.
Mélodie Vachon Boucher
Je suis tombée sur son compte Instagram en premier, un atelier vivant qui se renouvelle sans cesse et sur lequel elle publie son laboratoire de création. Dessins, collages, photographies, Mélodie est extrêmement créative, et son compte regorge de petits trésors, comme ses nouneries, nounes affectueusement dessinées et à qui elle donne la parole. Puis j’ai dévoré son œuvre au complet, en commençant par sa plus récente Le meilleur a été découvert loin d’ici, une BD sur le deuil, le recueillement, et sur la création qui se sublime à travers la solitude. On y visite l’univers d’une retraite au couvent, lieu de silence et de vide, à travers lequel on questionne le rapport à la religion et à la foi après une perte. La fragilité des traits, comme de la calligraphie, créent des images si précises et douces qu’on se sent parfois flattés par des plumes, mais sans enlever d’intensité au texte. Rendue connue grâce à sa BD Les trois carrés de chocolat, qui revisite un douloureux passé d’abus, la bédéiste, toujours avec une esthétique qui marie parfaitement le texte à l’image, a également publié La chamade, dans lequel l’autrice écrit sur sa relation conflictuelle avec sa fille et Livre de peine.
Source
Erika Soucy
J’ai connu Erika d’abord comme duchesse de la Revengeance à Québec, puis comme grand Manitou de Première Ovation. Sa légende la précédait, elle qui est aussi fondatrice du Off-Festival de poésie de Trois-Rivières, aujourd’hui repère des jeunes poètes émergents. Mais ce n’est vraiment qu’après la lecture de son roman Les murailles, qui nous amène dans les entrailles méconnues des travailleurs du chantier La Romaine, que je l’ai découverte dans une plus grande intimité. Dans un joual méthodique autant que comique, l’autrice nous fait découvrir l’envers du décor, celui des hommes qui partent pour la job et reviennent après une absence prolongée. Comment se passe la vie quand papa n’est pas là, mais surtout, on fait quoi sur un chantier? Il y a la job oui, mais aussi la team, qui se retrouve chaque soir au bar du chantier. Soucy vient péter les murs entre l’imaginaire et la réalité parfois rude de ses hommes qui travaillent depuis sa Côte-Nord natale. Son recueil de poésie publié en 2017, Priscilla en hologramme, raconte les déboires de la veuve de King, avec la force de la prose qu’on lui connaît, et juste assez de nostalgie pour les paillettes.
Erika Soucy : poète, auteure et fille de la Côte-Nord
Marjolaine Beauchamp
C’est une amie qui m’avait conseillé Au plexus, premier recueil de poésie de Beauchamp, il y a quelques années. Une prose qui scalpe méticuleusement autant qu’elle crisse parfois des coups de pelle dans la face. La poésie québécoise est nourrie chaque fois que Marjolaine Beauchamp publie, c’est juste triste que ça soit pas si souvent que ça. Slameuse aguerrie, elle remporte le titre de championne du Québec en 2009 et de vice-championne mondiale en 2010. Après une attente qui avait créé un manque chez mon amie et moi, Fourrer le feu, son deuxième recueil à l’Écrou, est publié en 2016. Récits d’une relation malade, ses poèmes visent juste, si juste qu’ils atteignent une profondeur qui nous creuse la peau : Enfin quelqu’un/Me donnait ma volée/Dans la chambre/Dans les rideaux/Et aimer ça/À la vie/À la mort/Plus souvent la mort. Ses poèmes sur la maternité et la naissance sont aussi des bijoux, mais pas toujours polis. Sa pièce de théâtre M.I.L.F. a été présentée lors de la biennale Zones Théâtrales en septembre dernier.
Micro ouvert avec la slameuse Marjolaine Beauchamp
Karoline Georges
Autrice de science-fiction, Karoline Georges est une ovni littéraire québécoise. Son roman Sous béton, publié en 2011, nous catapultait dans l’univers futuriste d’un appartement situé au 5969e étage d’une tour à logements. Une famille, ou ce qu’il en reste, est enfermée dans sa cellule bétonnée. Les membres portent des matricules et semblent lentement aspirés en une aliénation digne des personnages qui peuplent la Cité-Puits de l’Incal de Jodorowsky. Alors que ses parents sont éteints de toute envie de sortir de la prison de béton, le narrateur, l’enfant, tente de s’échapper. Dans la même lignée, l’autrice publiait, en 2017, le roman De synthèse qui est narré par une ex-mannequin vivant dans un futur proche. Mais cette fois, la réalité rencontre la science-fiction et les rapprochements entre les univers parallèles accessibles par l’Internet, qui porte en lui-même la quête de l’image, allant jusqu’à la création d’avatars, sont exploités au maximum. Cette femme image ou objet, quasi robotisée, revient à elle lentement suite au diagnostic de sa mère. Redevenir corps ou humain, quitter l’image, fuite absolue, c’est ce que Karoline Georges propose de faire pour un instant.
Bonne lecture!
***
Source photo couverture