Crédits photo: Didier Boulad
Ma liberté
Elle était là, bien discrète à me faire des signes. Je ne la voyais pas, c’était trop loin. Café glacé à la main, j’étais perchée sur la petite colline gazonnée avec vue sur la mer. Je voyais la brume au loin, les quelques bateaux dansants suivant le rythme des vagues. Agitée par mon flot de pensées, je m’y étais recueillie dans le but de m’évader, loin de mes tourments d’éternelle adolescente. J’adore ce coin de pays qu’est la Gaspésie. Venteux et frisquet, juste parfait pour m’alléger l’esprit en envoyant au vent mes réflexions.
Depuis plusieurs années, je cogite sur le fait qu’on me rappelle à outrance que je ne serai jamais à la hauteur. JAMAIS.
J’aime plaire et recevoir l’approbation des gens. Je suis prête à tout pour les rendre heureux, ne pas trop brusquer leur petite vie bien menée. Je suis la parfaite marionnette qui soit (plus jolie que Pinocchio, soit dit en passant). Cela me cause de l’anxiété et une gestion difficile de mes émotions. Pas étonnant, puisque j’agis à l’encontre de mes valeurs dans le but d’obtenir une gloire certaine. Pourtant, il paraît que je suis une fille intelligente. J’y crois un peu. Mais je m’acharne à vouloir relever ce défi impossible. Je dois avoir un fil connecteur qui fait défaut, celui du « lâcher-prise ». Va falloir que j’engage des techniciens pour fixer ça.
J’ai toujours pressenti que j’étais dans un univers, bien loin à part des autres, que ma manière de penser n’était guère comme les valeurs familiales inculquées. Dans mon enfance, j’ai eu droit au « n’écoute pas ton cœur, c’est un traître! » et à « l’argent mène le monde ».
Avec ces paroles qui détiennent la pure vérité, j’étais brainwashée à accomplir un beau métier de démocrate. Joie! Moi qui gambade à la moindre tonalité de musique, qui s’esclaffe au moindre pet aigu, qui tourbillonne de bonheur à l’idée de manger une glace… on s’entend que c’est difficile de pouvoir être en symbiose avec la philosophie de mes vieux.
Ils m’ont étiquetée dérangeante et imprévisible avec mes choix de carrière « nébuleux », mes sélections amoureuses « douteuses », et je ne parlerai surtout pas de ma passion pour la danse.
À leurs yeux, je suis maître dans l’art du changement et de la provocation (j’attends d’ailleurs toujours mes médailles). Pour moi, le changement évoque le début d’une nouvelle vie, remplie de nouvelles aventures. Je trouve cela vraiment excitant. C’est mon carburant.
C’est après mûres réflexions que j’arrive à cette conclusion bien loufoque: je fais peur. Même si physiquement, je suis pas mal avec mes yeux vert olive, mon cerveau, lui, contient une bombe prête à éclater. C’est pour cette raison qu’on m’a enfermé dans un cercle de pensées destructrices afin de me désamorcer.
Je me sens fébrile tout à coup. L’effet du café probablement, mais je décèle un soupçon d’adrénaline.
Et si j’étais moi, dans toute son entièreté ?
Et si je disais abats les tabous?
Et si j’avais envie de parvenir à mon bonheur en n’en faisant qu’à ma tête?
Et si j’acceptais que les gens que j’aime n’approuvaient pas tous mes choix, serait-ce si grave que ça?
Et si…?
Je me lève, j’avance, les pieds dans le sable, les yeux rivés sur l’horizon.
J’aperçois l’éclaircie qui se rapproche de moi de manière bien tangible. J’accours, vent dans les cheveux, je la saisis enfin! MA liberté.
Merci Cap-Chat pour le brin de jasette.
Crédits photo: Didier Boulad