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J’ai vu ton cancer dans une cabine d’essayage

On ne se connaissait pas, pas du tout, pas même un peu.

T’as qu’un sein. Deux : un déformé, plus petit, un deuxième qui survit.

T’as encore une cicatrice fraîche, rouge, douloureuse, le corps engourdi.

J’en ai vu des femmes passées devant moi, seins nus. Je te jure. J’en ai vu beaucoup.

Même des femmes comme toi, j’en ai vu beaucoup. J’en ai vu des corps de tous les âges, des bourrelets et des poils, des mamelons de tous les types. J’en ai vu autant comme autant des seins refaits avec des dimensions incroyables. Des seins post-maternité gorgés de lait et des seins vides, presque en Jell-O.

C’est ta première fois? Moi, je les compte plus. C’est con, pareil.

On a beau se regarder dans les yeux, se sourire et se dire que c’est correct, que ça fait mal, que ce n’est pas ben beau, on le sait que c’est une maudite boucherie.

Je vais te le dire parce que je t’aime bien : tout ça, là, et bien, ça ne s’apprend pas. On ne s’habitue pas. Non. Chaque fois, c’est nouveau. Tout est à recommencer.

Mais chaque fois que tu reviens, avec ta rémission, avec le goût de te réapproprier ton corps, de recommencer à te plaire, je reste une inconnue avec laquelle tu brûles les étapes.

On le sait toutes les deux.

Mais chaque fois, je me rappelle qu’on est comme des étrangers qui fument dehors, près d’un bar. Chaque fois, avant de te laisser dégrafer ton soutien-gorge, je me dis que t’as la possibilité de te réinventer et de reconstruire avec moi : on a toujours plus de facilité à se livrer à quelqu’un qu’on ne connaît pas, qui sait rien de nous.

Et pis tu me sors ton histoire, comme pour te justifier d’être comme tu es.

Pis là, je ris un peu en dedans de moi.

Je suis de même, moi aussi. On est toutes pareilles devant un miroir et des néons crus. 

J’veux dire, pour moi, t’es une femme comme les autres.  

Tu n’aurais pas eu de cancer que tu m’aurais quand même dit « regarde-moi pas ».

Là, au moins, t’as une raison de célébrer.

Pourtant, chaque fois, je suis saisie d’horreur devant le massacre d’un cancer. Devant la boucherie d’un corps toujours vivant. Je ne m’y fais pas.

Moi, j’ai peur de toucher et de te faire mal. Toi, t’as peur d’être touchée et d’avoir mal.

Pis j’imagine que ton regard t’écorche encore plus le corps quand celui d’un autre l’accompagne.  

Ce n’est pas facile d’être vue dans la dépossession, dans l’intime et la réconciliation. Enfin, j’imagine.

Pas facile d’être touchée, sans savoir comment ressentir les choses – les nerfs à vif et la peau tuméfiée.

Photo de couverture : source

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