J’aimerais ça pouvoir dire que je vais bien.
J’aimerais ça pouvoir répondre au téléphone et ne pas avoir à prendre des grandes inspirations pour stabiliser ma voix avant de décrocher, question de ne pas inquiéter mon père avec mon trémolo.
J’aimerais ça que le mode shuffle de ma playlist ne soit pas une roulette russe. Croiser les doigts pour ne pas tomber sur une de nos chansons, parce que j’ai pas encore le courage de les effacer.
Mais pourtant, tous les jours à 13h, je me fais rappeler par notre premier ministre et Radio-Canada que le Québec a arrêté de tourner. Que les gens meurent par centaines. Que je ne suis pas une infirmière qui se bat pour sauver des vies au premier rang.
Tout ce qu’on me demande, c’est de m’assoir et de magasiner en ligne jusqu’en septembre, jour où j’entrerai dans un nouveau programme à l’université. Devant l’incertitude qu’est devenu notre monde, je me réveille tout de même en pleurant, parce que je me suis récemment fait briser le cœur par une relation dont j’espérais plus. Je réalise chaque matin avec effroi que c’est bien ma réalité. Je n’ai pas rêvé, je vais devoir affronter une autre journée.
Si j’avais formulé cette phrase il y a deux mois, j’aurais tout simplement dit : « Je suis stressée de laisser partir les deux dernières années de ma vie, d’aller à l’université et de dire au revoir à cet avenir avec lui, qui n’arrivera jamais. Je suis en deuil et je suis anxieuse. »
Mais aujourd’hui, les nouvelles me lèvent le cœur. Je me sens mal et coupable. Je pleure pour les mauvaises raisons. Je suis en santé. Je ne suis pas en détresse financière.
La Covid-19 fait de l’ombre à tout le reste. Elle a beau être la reine du malheur, ça n’empêche pas les autres émotions de se tailler une place et d’être valides. Pour certaines personnes, c’est difficile à comprendre. « Ça pourrait être pire! » « Tu passes tes journées à la maison, tu as tout ton temps pour faire ce qui te plait, profite-en! »
As-tu déjà essayé de te faire un masque pour le visage en pleurant? Ça tient pas fort, l’argile, en dessous de l’eau salée qui coule sur tes joues. Mais merci du conseil, je vais profiter de mes longues nuits de sommeil réparatrices remplies d’insomnie et de mon trop de temps libre, seule avec mes pensées néfastes.
Ça rend également la communication et le support difficile, parce que tout le monde vit des difficultés. On ne veut pas accabler ses amis qui ont eu aussi beaucoup à gérer, ou encore jouer à celui ou celle qui a le plus mal. Évidemment, on ne gagnerait sûrement pas. Sauf qu’on a pas besoin d’être le pire pour en avoir juste assez pour souffrir. Je pourrais endurer plus…mais je pourrais également endurer bien moins.
Même si la Terre arrête, que l’économie est gelée et que les magazines ont oublié les scandales américains pour laisser place au virus, t’as le droit d’avoir mal. Ta vie n’arrête pas, elle. Peu importe ce que tu ressens, que ce soit lié à des problèmes personnels ou à la Covid, ça a raison d’être.
Ne laisse personne minimiser tes émotions. Prends tous les bains qui te feront du bien. Écris tout ce qui t’apaisera. Réduis ta consommation d’information si c’est ce dont tu as besoin.
Dans un monde où la Covid-19 prend toute la place, n’oublie pas de prendre la tienne. Tu existes encore. C’est difficile de vivre des émotions lourdes en temps de pandémie. Ça demande plus de force. Ça rend la solitude plus poignante. Appelle tes proches ou un professionnel, fais-toi entendre malgré tout.
Il n’y aura pas de recette magique, mais sache que tu n’es pas seul.e là-dedans. Un jour, ça va vraiment bien aller. Peut-être pas aujourd’hui, peut-être pas demain non plus, mais c’est correct ainsi.