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ok boomers

Je me surprends à utiliser l’expression depuis quelques jours et je m’en veux un peu à chaque fois, parce que c’est une généralisation de dire : les boomers (dixit les enfants nés de 1946  à 1965) sont tous des vieux maudits sans tolérance. J’ai grandi entourée par des grands-parents relativement ouverts, des parents aussi. Avec une famille citadine de gauche et une autre au centre, mettons, à cause de son emplacement agricole. Des bloquistes qui ont viré du mauvais bord. Tellement ancrés dans les vieux partis, qu’ils ne se permettent jamais de penser à la nouveauté.

J’ai été très tôt encline à la discussion, au débat, j’ai testé mes oncles et mes tantes sur des sujets sensibles, parfois sans le savoir. Parler de féminisme avec la famille de ma mère dans Bellechasse, ou des droits des Premières Nations avec la famille de mon père qui a grandi à côté du village huron pouvait donner des discussions difficiles, surprenantes de fermeture. Mais je le vois qu’au fil des années, cette confrontation a toujours été salutaire. Surtout pour moi. Parce que c’est moi qui arrivais avec des idées nouvelles. Je le vois que ma mère essaie de moins juger ce qui est différent, inconnu, exotique.

Je me souviens encore de la grève de 2012. On dirait qu’on ne peut pas passer à côté. En tant que Québécoise, je me disais qu’on allait m’encourager dans ma lutte étudiante, que mes parents, ma famille allaient me supporter parce que j’étais le futur! (bruit de bulle qui dégonfle) Ça a été un autre coup très dur pour la jeune vingtenaire que j’étais. Mon carré rouge toujours fièrement étiqueté au manteau dans l’autobus 20 qui allait de Lévis à l’Université Laval, et toujours les regards malveillants des vieux qui se rendaient aux magasins. Des plaintes démesurées dans la famille, il y en a eu, jusqu’à ce que mon érudit parrain dise que l’université devrait être gratuite pour tous. Quand le sage homme riche répète ce que dit la jeune fille, on l’écoute.

En dehors de la famille, j’ai été beaucoup exposée à bien plus d’étroitesse d’esprit. Des patrons machos, masculinistes, des patronnes ayant intégré le sexisme, et j’ai vécu de l’âgisme de la part de baby-boomers dans toutes les sphères de ma vie.

C’est dur et fatigant de devoir toujours se battre (avec des gens qu’on aime) pour faire valoir ses idées. Ceux que je n’aime pas c’est moins grave, je n’ai pas besoin d’être polie avec eux.

J’ai écrit un roman pour exorciser toutes ces valeurs à brûler, dont la domination masculine sur le corps, sur le territoire, sur les lois et sur les droits. Ça se passe dans un village dans lequel les femmes sont soumises aux valeurs patriarcales, dans lequel les jeunes voient le cercle dans lequel ils et elles doivent entrer pour continuer de faire rouler la roue, mais face auquel certaines et certains décident de le contourner, ou d’entrer dedans, directement, pour faire péter l’engrenage.

L’autre jour, j’ai été invitée à une discussion sur mon roman dans un club de lecture de personnes d’à peu près ça, 50 à 70 ans. Ça a commencé par le seul homme du groupe qui a posé les six ou sept premières questions. Elles étaient bonnes ses questions, c’est un professeur retraité. Mais bien vite j’ai dû l’interrompre devant l’étrangeté de la scène. Un club composé d’une dizaine de femmes muettes, et d’un seul homme qui parle? J’ai dit que j’étais curieuse d’entendre les femmes. Et j’avoue que je ne m’attendais pas à autant de rigidité. Oui, je savais que l’œuvre allait choquer, voire être difficile à déchiffrer, mais pas de la part de lectrices inscrites à un club de lecture. Elles ont critiqué la forme, trop compliquée, pas assez traditionnelle. Elles ont critiqué le fait que l’œuvre dite féministe ne l’était en fait pas du tout, selon elles, parce que des femmes qui vendent leurs corps ne peuvent pas être féministes, car elles ne se respectent pas. Elles ont été frileuses concernant le thème de l’avortement, et ont fini en questionnant l’utilisation du joual (ou de l’accent de certains personnages) dans le récit. Un refus complet de l’œuvre, sauf pour deux d’entre elles, qui passaient par une intolérance marquée vis-à-vis de la sexualité féminine. Il faut dire que le jour précédent, j’étais allée à la première du documentaire Trafic, qui traite de pornographie juvénile. La réalisatrice et la productrice étaient présentes à la fin de la projection, pour répondre aux questions et aux commentaires du public. Elles ont pointé une dame âgée en premier, qui s’est empressée de dire que les jeunes filles qui sortaient d’un réseau de prostitution devaient être privées de sortie le soir. Dans la salle, le mécontentement s’est élevé, un des travailleurs sociaux qui a participé au film lui a répondu qu’elles n’étaient pas en prison. Et cette dame est juste devenue incontrôlable, coupant la parole à tout le monde, n’écoutant personne, ne demandant jamais son droit avant de parler (même si on avait préalablement demandé à tous de lever la main), pour finalement empêcher quiconque de parler sauf elle-même. Je me suis retournée vers ma sœur qui était là avec moi ce soir-là, pour lui glisser un « Ok boomer » silencieux, et toutes les personnes de la rangée d’en avant se sont retournées vers moi pour me sourire en accord. C’était vraiment malgré moi, on en a discuté plus tard et je m’excusais presque. Mais une chose était vraie, c’est que la parole de tous avait été brimée au profit de celle de cette vieille dame mécontente de la liberté des jeunes filles après l’enfer sexuel. J’y repense et je ressens encore de la colère à cause de cette femme. S’additionne à cette colère celle du club de lecture qui a suivi, en plus de mes colères plus anciennes et irrésolues.

Ce qu’il y a à changer entre nos générations, c’est la création d’un dialogue, et dans tout dialogue, il y a de l’écoute. Il a été ouvert momentanément le temps de #metoo ; en ce qui a trait à l’environnement, ils sont nombreux à nous regarder de haut encore, heureux de pouvoir dire qu’ils n’y seront plus bientôt, laissant la mer derrière, la Terre engloutie et tous ses habitants pendant qu’eux et leurs vieux couples binaires entreront dans un beau grand bateau. Veut-on vraiment que l’histoire se répète?

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