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La précarité de la joie

Depuis quelque temps, j’ai été, je crois, chanceuse. J’ai été mardeuse. Mardeuse à un point tel que j’avais tout ce dont j’avais besoin ou vraiment envie. J’peux pas dire que j’ai pas travaillé pour toutes les choses que j’ai obtenues, je pense que le travail et la persévérance dont j’ai fait preuve m’ont permis d’obtenir bien des choses que je désirais. Mais, en gros, j’ai été dotée d’un bon karma depuis un certain moment.

Tout ce qui me semblait vide a été comblé par différentes choses dans ma vie. Je ressentais un sentiment de plénitude. Je n’avais pas « tout », mais j’avais ce dont j’avais besoin et ça me suffisait. Les différentes brèches dans ma vie étaient alors remplies par un amoureux qui me comblait (et me comble encore tous les jours) de joie et de folie, un objectif de carrière, voire de vie, réalisable, d’excellentes notes à l’école (faut dire que j’y mettais pas mal de temps!), une vie sociale (incluant famille et amis) aussi palpitante qu’intéressante, une vie professionnelle florissante, une situation financière vraiment pas pire pour une étudiante et une excellente santé. Toutes ces composantes sont venues colmater les failles qui me semblaient si vides durant un long moment dans ma vie.

J’étais motivée, je me sentais aimée et amoureuse, j’étais portée par une telle légèreté que les gens devaient me voir planer à quelques centimètres du sol. J’étais aussi pleine de gratitude envers la vie. J’étais emballée par chaque jour qui se dressait devant moi, chaque occasion qui se présentait était enthousiasmante. J’ai la chance d’être une fille naturellement optimiste. Quand quelque chose ne va pas, je retrousse mes manches et je me dis que demain sera un meilleur jour.

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Mais j’ai aussi découvert une partie de moi en ayant « tout ». C’est arrivé lorsque j’ai eu un résultat moyen à l’école. Au lieu de me dire que je ferai mieux la prochaine fois, je me suis dit : « Ça y est, à force d’avoir tout eu et d’avoir été mardeuse aussi longtemps, je dois avoir ma dose de marde habituelle… ». Je me suis aussi dit que c’est lorsque l’on a tout que l’on est le plus à risque. Tout avoir peut aussi signifier tout perdre, du jour au lendemain.

Je suis donc devenue une bibitte parano, anxieuse et peureuse de se faire enlever ce qu’elle avait acquis et ce qu’elle continuait d’acquérir. J’avais peur que le malheur me pète en pleine face pis ça m’angoissait au boute… Peu importe à quel point je méritais tout ce qui m’arrivait, j’avais peur que la vie se rende compte que c’était une erreur de m’accorder tous ces petits bonheurs. Je m’imaginais littéralement la vie comme une similipersonne qui regardait, une fois de temps en temps, ce qui se passait dans ma vie. Pis que si elle se rendait compte de tout ce que j’avais, elle dirait : « Ben voyons, comment se fait-il que ce soit passé sous mes yeux? Enlevons-lui ça et ça et ça. Voilà qui est mieux. »

J’ai alors réalisé que la joie et la plénitude étaient des sentiments précaires, qu’ils ne pouvaient tenir qu’à un fil. Je peux tout perdre, tout d’un coup, sans préavis. Je peux aussi chérir tout ce que j’ai, tout ce qui m’arrive et, surtout, profiter de ces moments s’ils ne sont en fin de compte qu’éphémères.

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