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Ceci n’est plus ton verre

Ça faisait deux semaines que j’avais pas viré de brosse. Deux semaines.

À mon âge, virer une brosse aux deux semaines, c’est être tranquille, quand même.

J’essayais de faire attention à moi, parce que c’est la mi-session déjà, et que je me devais d’être en forme pour être attentive, productive et calme.

Mais ça faisait déjà deux semaines que j’étais pas sortie de chez moi. Je me sentais déprimée, stressée, crispée. Quoi de mieux qu’une soirée entre filles pour relaxer? Je le méritais. Ça faisait deux semaines que j’avais pas eu de plaisir. Pis comme on vend pas de capsule de plaisir comme on vend des vitamines, il me fallait passer à l’action.

J’avais besoin de pep.

Fait qu’on s’est fait un souper de filles. On a bu du saké. On a bu quelques drinks pis on a fait une session de shooters-confessions. On était presque sur la brosse, mais pas encore tout à fait. J’avais du fun, une grosse dose de fun injectée direct dans mon sang.

Il ne manquait qu’une chose.

Du karaoké.

On s’est rendues au bar karaoké le plus proche. C’était un bar crade. On le savait à l’odeur ambiante de salle de bain cheap pis aux regards malsains des vieux habitués qui voient de belles jeunes demoiselles entrer. Indice de quitter #1.

On se sentait peut-être pompettes, chaudasses au plus. On pouvait se permettre une boisson de plus. On avait bu lentement. On a mis nos noms sur la liste puis on s’est assises à une table, avec nos verres.

On évitait les contacts avec les bonshommes louches qui venaient nous parler alors que leurs phrases étaient autant inaudibles que leur diction était maganée.

Bientôt, ce fut le temps monter sur scène (scénette cheap de bar cheap. Sentez ici l’amertume). D’une main, le micro, de l’autre, mon verre. L’inhibition me quittait tranquillement-pas-vite. J’étais prête à chanter.

« Vous pouvez pas avoir votre verre sur scène. »

« Quoi, euh, OK? »

Je suis allée le déposer sur ma table. Indice de quitter #2.

Deux minutes plus tard, mes copines dansaient devant moi. Mon verre, lui, était seul autour de quelques autres, ceux des filles qui ne voulaient pas les renverser. Indice de quitter #3.

En revenant, j’ai jeté un coup d’œil furtif autour de la table, rien n’avait semblé bouger. Mais je n’avais pas gardé les yeux rivés sur mon verre durant toute la chanson.

J’ai bu dedans pareil.

Comme une conne, j’ai envie de dire. Mais je vais me retenir parce que ma mère, elle, quand elle avait mon âge, elle aurait bu dedans, elle aussi. Parce qu’à moment donné, c’est fatigant d’être sans arrêt sur ses gardes. Parce qu’à la longue, ça coûte cher de se repayer un verre chaque fois qu’on fait une chanson au karaoké. Parce qu’après tout, ce n’est PAS plus à MOI de ne pas boire dans MON verre qu’à l’enfoiré de ne RIEN mettre DEDANS.

Ça a pris tout au plus 20 minutes.

20 minutes où je riais, dansais, m’amusais.

Puis j’ai black out.

Impossible de me souvenir de quoi que ce soit. Comment je suis revenue chez moi? Je ne sais pas. Comment je me suis ouvert le genou? Mystère. Pourquoi j’ai la sensation que ma tête a cogné fort sur le plancher? Aucune espèce d’idée.

Qu’est-ce qu’il s’est passé entre le moment de bonheur et le réveil brutal du lendemain? Je ne le saurai jamais. Pis rendu là, je veux pas le savoir. J’ai bien trop peur d’être dégoutée.

Alors, s’il te plaît. Je te le dis pour vous éviter des jours entiers de déprime, de cauchemars, de frissons, de sueurs froides et d’étourdissements : reste vigilante, fille.

Je sais que c’est dur, c’est plate pis ça fait chier. Je sais que c’est frustrant d’être limitée dans ses actions parce que tu es une femme. Je sais que tu te sens punie alors que ça devrait être aux idiots-sans-scrupules d’écoper.

Mais watch ton verre, parce que la guérison est longue.

Pis même si tu l’as à peine laissé 3 secondes tout seul, ton verre c’est plus ton verre.

Ça coûte moins d’en racheter un que de te reconstruire une confiance.

Pis à ceux qui sont désespérés au point de mettre quelque chose dans le verre d’inconnues, je vous souhaite de vous ronger de remords jusqu’à vous décomposer vivants. J’aimerais dire qu’il y a une place en enfer pour vous, mais je n’y crois pas une seconde. Je préfère vous imaginer souffrir de votre vivant.

Y’a rien qui pardonne un acte comme ça.

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