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Je travaille pour le commerce de ma mère. Ce statement-là génère habituellement deux types de réactions. Il y a d’un côté la personne ébahie et niaise qui vénère ma chance et aimerait être « gâtée et libre » comme moi. Et de l’autre côté, il y a celle qui est à deux doigts d’appeler les autorités afin de me sortir de cette torture… comme si les mélodrames américains étaient l’exacte réalité de toutes ces personnes qui, comme moi, travaillent pour un membre de leur famille. Le fait est que l’un comme l’autre sont dans le tort. Il est vrai que certains dans ma situation sont soit à plaindre soit à envier, mais pour les autres, cet emploi à ses pour et ses contre.
Emploi garanti, ou presque
Se trouver un premier emploi est souvent complexe, mais si tu as un membre de ta famille qui a un commerce, la tâche est légèrement plus facile (si tu as le profil et les compétences pour l’emploi). Et nous savons aussi que donner cette référence, lorsque nous postulerons pour un autre emploi, ne nous déclenchera pas d’anxiété ni de crises existentielles à trois heures du matin (crises qui surviennent généralement lorsque tu viens de finir les 8 épisodes d’une série et que tu n’es pas capable de t’endormir). MAIS! Avec cette chance, vient aussi l’incapacité de pester contre ton job, ton horaire, les clients ou bien les autres employés. Si par malheur, un matin, les mots « je suis tannée des clients » sortent de ma bouche, ma mère me regarde avec ses grands yeux charmeurs – pas vraiment – et elle me dit avec beaucoup de tendresse – encore moins – « tu peux toujours te trouver un job ailleurs ». La rumeur dit que si tu la regardes dans les yeux en lui disant « challenge accepted », elle pourrait te transformer en sans-abris.
Congés sans embûches
C’est plus facile, aussi, de demander un congé. Pour l’anniversaire de tes cousines, parce que ton grand-père vient de rendre l’âme ou bien parce que tu as un rendez-vous, lorsque c’est important, on se casse un peu moins la tête. On n’a pas à fournir mille-et-une preuves puisque, la plupart du temps, ton employeur le sait déjà. MAIS! Tu ne goûteras jamais à un congé total du travail. Tu en parles tout le temps. Dans les soupers de famille, à la maison, en voyage, dans ta douche alors que ta mère est en train de se brosser les dents; le travail est ta vie. Il constitue 95 pour cent de tes conversations au quotidien.
Les relations avec les clients
Lorsque les clients savent que tu as un lien de parenté avec le Big Brother, ils sont généralement plus gentils et friendly, bien que le contraire puisse arriver s’ils n’aiment pas la face de ton boss. Que ce soit au travail ou bien à l’épicerie en train de choisir quelle salade de couscous tu devrais acheter, ils aiment bien te parler et savoir comment vont tes études ou ton chat. MAIS! Parfois – ou trop souvent, selon moi –, ton patron parle un peu trop de toi aux clients. Ils connaissent tes sorties du samedi soir, l’existence de ton ami imaginaire quand tu avais 4 ans (Frédéric is the real MVP) ou bien tes relations amoureuses. Pis disons que ce n’est pas toujours le fun. Surtout quand ta mère se trompe et qu’elle t’appelle par ton surnom devant les clients et que, 3 ans plus tard, certains t’appellent toujours « Jadoune ». Merci Maman.
La liberté!
Travailler pour un membre de ta famille augmente considérablement ta liberté. Tu as quelques privilèges. Je ne parle pas ici d’un voyage tout inclus dans les Caraïbes ou bien de travailler habillé en guenilles, mais de petites choses comme avoir les cheveux de couleurs multicolores (même si tu travailles dans le public), travailler à Noël en pantoufles, choisir ton horaire et faire tes travaux scolaires durant tes quarts de travail. MAIS! Comme l’a dit Victor Hugo : « Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité. » C’est aussi travailler plus tard le soir afin d’alléger la charge de travail de son patron, faire les commandes, faire les formations, faire tout ce que les autres employés ne font pas. C’est aussi le laisser partir en toute quiétude en vacances puisqu’il sait que son commerce est entre de bonnes mains. L’erreur est moins pardonnable pour nous, et disons que les problèmes du travail te suivent jusqu’à la maison.
Travailler avec ma mère n’est pas si horrible que ça. Je ne me sens pas privilégiée, puisque je sais que je travaille fort pour atteindre ses hauts standards et que tous les jours nous donnons le meilleur de nous-mêmes. Non, je ne suis pas gâtée et non je ne suis pas une martyre qui n’attend qu’à être sauvée. Ce n’est pas si pire que ça. C’est mon job. Jadoune is out.