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La fois où j’ai fait brailler mon lift Amigo

L’été passé, je voyageais beaucoup entre Montréal et Québec pour participer à des projets de poésie et boire de la Glutenberg overpriced dans des parcs louches avec des énergumènes charmants.

Une nuit, après m’être tapé l’intégrale des Unbreakable Kimmy Schmidt, crinqué comme un jeune ado prépubère, je décide de réserver un lift Amigo Express Drummondville-Québec à neuf heures le matin. Insomniaque autant qu’imprévisible, j’ai cette capacité de pouvoir dormir dix heures en ligne quand je feel pour rien faire et de pas dormir pantoute quand je feel plus globe-trotter. Quatre heures plus tard, je me réveille avec l’énergie de Jessica Jones qui avale une bouteille de vodka en se levant.

Je marche tranquillement sur la rue des Ormes (coucou Patrick Senécal) en direction du Saint-Hubert Express pour mon lift Amigo Express (okbye). Il y a cette règle non écrite dans le monde du covoiturage qui dit que si tu t’assieds en avant, tu te dois de parler un peu plus au conducteur ou à la conductrice. Si t’es comme moi pis que juste commander un allongé au Starbucks te stresse à mort, tu shotgun la banquette arrière comme un vrai ninja.

Une fois dans le char, ce sont toujours les mêmes questions qui reviennent : je ne sais jamais si je dois répondre ou me lancer par la fenêtre. Denise utilise son rétroviseur de manière passive agressive pour me zieuter. Mon cœur bat comme si j’étais pris dans un banc de requins la jambe ouverte après une cabane à sucre à volonté.

— Toi, Simon, étudies-tu?

— Je viens de finir…

— Tu travailles?

— J’écris un recueil de poésie.

Silence malaisant niveau expert. Denise ajoute qu’elle n’aime pas la poésie parce que c’est trop compliqué pour elle. À ce moment-là, j’aurais pu me la fermer pis on aurait parlé de météo ou des nouvelles recettes de Ricardo à tivi. C’était peut-être le manque de sommeil ou un désespoir curieusement enjoué, mais j’ai décidé de répliquer pour tous les poètes pauvres qui continuent d’écrire en cachette les dimanches soirs entre le travail, les enfants pis l’épicerie.

— Je pense que tout le monde aime la poésie, mais sans le savoir des fois. La poésie, c’est pas juste dans les livres ou à l’université. C’est partout, dans les petites choses : un coucher de soleil, le sourire d’un enfant, un repas de famille… Partout où il y a de la beauté, de la magie, de la laideur aussi, ben la poésie est là à nous regarder. Il faut juste être capable de le remarquer, mais c’est un peu ça la job des poètes, de faire ressortir ce qu’on était plus habitués de voir parce qu’on a les yeux trop fatigués par nos vieilles habitudes.

Surpris par ma propre lancée, je rougis, évaluant mes chances de survie si je me lance hors de la voiture à 120 km/h. Je remarque Denise s’essuyer les yeux discrètement, un sourire aux lèvres. Finalement, j’aurai peut-être convaincu une personne que notre monde manque cruellement de poésie. Sur le même sujet, lisez La vie habitable, de Véronique Côté. Elle explique pourquoi Gérald Godin faisait sa campagne électorale à bicyclette en laissant des poèmes dans les boîtes aux lettres.

Par Simon Poirier

Photo de couverture : source

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