Espace de rêverie intarissable, réservoir à émotions bigarrées, refuge contre la bêtise humaine ; j’ai nommé le théâtre. Étant certainement l’une des activités culturelles les plus sous-estimées et méconnues de notre société du 21e siècle, je me fais aujourd’hui le héraut de ces petits temples sacrés où les mots prennent vie. On les aime lorsque déclamés avec fureur et postillons, avec lenteur et suavité, en tirades ou en rapides dialogues. Et l’indicible plaisir de suspendre notre désir au rideau, ce cruel accessoire enchanteur. L’art dramatique bâtit de véritables monuments artistiques dans un relatif anonymat.
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Renouer ou t’initier au théâtre, tu dois. Mes explications, tu recevras.
S’il n’y avait qu’une seule raison à avancer, ce serait celle qui suit. Walter Benjamin, un gars « pas pire » intelligent expliquait qu’avec la venue du cinéma et de la photographie au tournant du 20e siècle, les choses perdaient de leur aura. Pour qu’une chose ait une aura, elle doit être unique, rare, non-reproductible, haute en charge symbolique. Par exemple, une cérémonie religieuse était sacrée, en ce sens qu’elle exhalait un maximum d’aura. Impossible à reproduire via la photographie ou l’enregistrement vidéo, la cérémonie n’existe que dans l’instant présent et en un endroit précis. Son unicité est son gage de sacralité.
Or, une représentation théâtrale a de quoi challenger une messe en trois lieux.
1) Elle est à chaque fois unique. Le jeu des acteurs, l’ambiance dans la foule varient d’une représentation à l’autre, contrairement au cinéma. C’est pourquoi on parle du théâtre comme d’un art vivant. En fait, qui oserait faire équivaloir l’audition d’un CD à un concert? C’est la même chose pour le théâtre. Lire la dramaturgie ne suffit pas, et un film ne pourra jamais apporter cette dose de concrétude, d’émotion et n’aura jamais l’aura du jeu réel qui se joue sur les planches.
2) Sa charge symbolique est immense, transmettant valeurs, réflexions, émotions, etc. Entre le spectateur et l’œuvre, il n’existe aucun biais (pas d’écran, pas de page manuscrite), rendant cette charge symbolique authentiquement vraie. Cela est d’autant plus vrai que le théâtre avant-gardiste n’hésite pas à supprimer l’opposition spectacle/spectateur, faisant entrer ce dernier dans le cadre du spectacle et élargissant l’espace théâtral à toute la salle.
3) Les acteurs, à l’image des sacerdoces dans une cérémonie religieuse, doivent livrer une performance. Et le mandat est lourd. Pas de prises répétées, pas de coupures de plan. Comment peut-on s’extasier sur les performances des acteurs cinématographiques alors que les dieux de la scène livrent la marchandise sans coupure, sans répit, sans multiples essais? Ici et maintenant. Être en extase devant un acteur, c’est devant les planches que ça se vit.
Le théâtre a, depuis ses origines, un lien tout particulier avec la littérature et la philosophie. Il vit de concepts et de mots magnifiques en leur donnant un souffle de vie. À Athènes, dans l’Antiquité, on payait les citoyens pour les libérer de leurs tâches afin qu’ils puissent assister aux Grandes Dionysies, cérémonies religieuses dans lesquelles le théâtre était à l’honneur. C’est que l’activité était jugée nécessaire au maintien d’une démocratie saine. Ça en dit long sur la capacité de cet art à susciter réflexion.
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De nos jours, le théâtre est parfois très éclaté, explorant les possibles que permet la technologie. Il amalgame souvent les autres arts scéniques (danse, improvisation, musique) comme jamais auparavant. Il suit ou non une trame narrative, les acteurs représentent ou non des personnages. En constante évolution, signe d’un art en santé, l’art dramatique étend ainsi ses possibilités, décuplant infiniment son potentiel de sens.
Que le spectacle commence!
Par David Morissette Beaulieu
Marie-Ève Joseph
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